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Rodelinda sublimée

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
12/10/2018 -  
Georg Friedrich Händel : Rodelinda, HWV 19
Jeanine De Bique (Rodelinda), Tim Mead (Bertarido), Benjamin Hulett (Grimoaldo), Romina Basso (Eduige), Andrea Mastroni (Garibaldo), Paul-Antoine Bénos-Djian (Unulfo)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)


J. De Bique


Quand on parle du génie de Georg Friedrich Händel (1685-1759), on rappelle souvent qu’il a composé Le Messie en trois semaines mais comment ne pas admirer également cette formidable période créatrice qui, alors qu’il est à Londres, lui permet d’enchaîner Tamerlano (créé en octobre 1724), Rodelinda (février 1725) et, le même mois, Jules César? Autant dire trois chefs-d’œuvre absolus à la même force dramatique, chaque ouvrage bénéficiant d’airs à l’émotion ou à la virtuosité tout aussi redoutables.


Après avoir rodé le spectacle, au mois d’octobre, dans une version mise en scène à Lille par Jean Bellorini, puis à Caen en novembre, Emmanuelle Haïm et son équipe de chanteurs (où seuls les rôles d’Eduige et d’Unolfo, alors tenus par Avery Amereau et Jakub Józef Orlinski, ont changé de titulaires pour cette unique représentation parisienne en version de concert) s’invitaient cette fois-ci sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées pour une représentation mémorable à tous égards. Mémorable tout d’abord pour avoir rappelé, à qui l’aurait oublié, combien Rodelinda est un des «grands» opéras de Händel, quand bien même il ne serait pas fréquemment donné, non plus qu’enregistré, la discographie actuelle ne relevant que onze intégrales (voir ici). Certains airs sont extrêmement connus, à commencer naturellement par le formidable duo entre Rodelinda et Bertarido «Io t’abbraccio» (concluant l’acte II), et ne demandent qu’à exploser de la sorte sur scène: à l’évidence, le public parisien aura ce soir été comblé. Mémorable ensuite car l’action de Rodelinda ne connaît guère de temps mort, ce qui n’est pas toujours le cas chez Händel, grâce à un livret revu par le fidèle collaborateur Haym, ramassé sur un trio de personnages aux caractères parfaitement dessinés. Mémorable enfin grâce à une équipe de jeunes chanteurs d’une très grande homogénéité et d’une musicalité du plus haut niveau.


Car il en faut pour rendre justice à cette reine, Rodelinda, qui est courtisée par l’ignoble Grimoaldo, usurpateur du trône jadis tenu par Bertarido, ce-dernier époux légitime de Rodelinda mais qui passe pour avoir été tué dans un combat contre les Huns. Le confident de Grimoaldo, un certain Garibaldo, être abject au possible, convoite pour sa part Eduige (qui, sœur de Bertarido, est pourtant supposée se marier à Grimoaldo) et complote dans l’espoir de régner un jour sur le royaume de Milan. Or, Bertarido est bel et bien vivant; conseillé par son fidèle Unulfo, il se cache de Rodelinda et résiste à l’envie de lui révéler qu’il n’est pas mort. Rodelinda, de son côté, consent à épouser Grimoaldo qui menace, en cas de refus de sa part, de tuer son fils. Grimoaldo, voué aux gémonies tant par Rodelinda que par Eduige (qui pensait devenir reine en se mariant avec lui) voit sa situation renversée puisqu’il finit par être acculé par Rodelinda, laquelle soumet son acceptation au mariage au fait qu’il doive tuer son propre fils. Garibaldi et Unulfo donnant des conseils totalement contradictoires à Grimoaldo, ce-dernier s’interroge sur la conduite à tenir. C’est à ce moment que Bertarido se révèle à Rodelinda, ce qui fait penser à Grimoaldo qu’elle fait preuve d’infidélité, n’ayant en effet pas reconnu Bertarido. Dans un accès vengeur, l’usurpateur promet de tuer l’amant de Rodelinda mais les autorise à échanger un dernier baiser. Après quelques péripéties, Unulfo permet à Bertarido de s’enfuir de la prison où il avait été jeté en attendant son exécution, Grimoaldo (sauvé d’une tentative d’assassinat par Garibaldo par le peu rancunier Bertarido) demande finalement à Eduige de se marier avec lui, laissant Bertarido et Rodelinda régner ensemble sur le royaume de Milan tandis que lui-même se contente de régner sur celui de Pavie.


Pour une prise de rôle, certes déjà quelque peu rodée, Jeanine De Bique impressionne. La chanteuse originaire de Trinité-et-Tobago incarne d’emblée une Rodelinda dotée d’une très grande force de caractère, capable de se ressaisir si la situation l’exige après avoir été en proie au plus grand désespoir. Distillant une émotion incroyable (l’air «Ombre, piante» à l’acte I, en dialogue avec une flûte traversière surnaturelle, suivi là encore par un rageur «Morrai, si, l’empia tua sua»), Jeanine De Bique fait culminer ses capacités vocales à la fin du deuxième acte dans son duo «Io t’abbraccio» avec Bertarido: ses aigus, parfois murmurés, d’une finesse et d’une limpidité à se damner, lui valurent un triomphe personnel amplement mérité (les deux chanteurs ont d’ailleurs été invités par Emmanuelle Haïm à revenir saluer sur scène, alors qu’ils avaient déjà regagné les coulisses). Justement, dans le rôle de Bertarido, Tim Mead s’affirme comme étant un partenaire de choix. Timbre velouté, projection et diction exemplaires, le contre-ténor anglais s’illustre dès son premier air, «Dove sei amato bene», la beauté du chant étant alors totalement mise à nu par le dépouillement orchestral l’accompagnant. Outre dans le duo avec Rodelinda qui lui permit de briller (quels aigus là aussi, d’une netteté cristalline incroyable), Tim Mead fut également très à son aise dans les airs plus véhéments où les acrobaties vocales furent plus évidentes comme dans le très beau «Sí, rivedrò la sola mia speranza» à l’acte II.


Benjamin Hulett incarnait Grimoaldo. Si Händel lui confie moins de morceaux de bravoure qu’au couple de héros de cet opéra, il n’en demeure pas moins un protagoniste au caractère plus complexe qu’on aurait pu le penser au premier abord, capable de toutes les vilenies mais, dans le fond, pas si mauvais que cela. Doté d’une voix chaude et souple, Hulett nous aura livré quelques très beaux moments à l’instar du superbe «Prigioniera ho l’alma» (acte II), rehaussé par l’accompagnement tout en souplesse des violons sur des sonorités typiquement «händeliennes». Même si son rôle reste secondaire, Romina Basso, pourtant plutôt rompue au répertoire baroque italien, campe une Eduige de grande tenue, servie par une agilité vocale impeccable qu’elle mit en exergue dès son premier air «Lo farò, dirò: spetiato». Les premières interventions d’Andrea Mastroni, dans le rôle de Garibaldo (un vrai méchant celui-là...), nous ont fait un peu peur: la voix, belle au demeurant, était légèrement caverneuse et on ne percevait guère distinctement les paroles. Heureusement, cela s’est rapidement arrangé dans les airs chantés et il défendit parfaitement le personnage à chacune de ses interventions. On émettra en revanche un petit bémol pour l’interprétation de Paul-Antoine Bénos-Djian, dont la voix nous aura paru constamment voilée et dont la technique semblait parfois poussée au bout de ses limites, quand bien même il n’aurait défailli à aucun moment.


Alors qu’elle nous habituait généralement à une direction un peu raide, voire sèche, Emmanuelle Haïm nous aura ce soir totalement convaincu grâce à une énergie sans limite et une très belle attention portées aux chanteurs. Dirigeant toujours avec entrain, couvant ses chanteurs dans les passages plus lyriques ou introspectifs, elle tire du Concert d’Astrée de magnifiques sonorités parmi lesquelles on soulignera les solos irréprochables de David Plantier au violon et de Jacques-Antoine Bresch à la flûte. Passant alternativement de la pure direction au clavecin (l’obligeant à régulièrement s’asseoir pour assurer le continuo, en alternant ce tout de même avec l’autre clavecin tenu par Elisabeth Geiger pour, immédiatement, repousser son tabouret pour diriger l’ensemble), Emmanuelle Haïm nous aura une nouvelle fois prouvé ses affinités avec Händel: on en redemande!


Le site de Jeanine De Bique
Le site de Tim Mead
Le site de Benjamin Hulett
Le site du Concert d’Astrée



Sébastien Gauthier

 

 

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