Hamlet en images et en voix à l'Opéra Comique

Xl_hamlet © DR

Le premier mérite de cette production d’Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra-Comique est d’exister : on croyait définitivement remisé dans les poubelles de la bien-pensance ce compositeur victime d’un méchant « mot d’esprit » de Chabrier ! Pourtant ses œuvres ont su enchanter durant des décennies des générations de spectateurs qui n’étaient pas tous des imbéciles ! Olivier Mantei, le directeur de l’Opéra-Comique, qui accomplit décidément un magnifique travail de renouvellement du répertoire et de reviviscence de nombre d’œuvres oubliées ou mises sous le boisseau, a bien fait de faire renaitre, cent-cinquante ans après sa création, cet Hamlet qui, s’inspirant de Shakespeare, offre un opéra bien construit, avec sans doute quelques longueurs mais aussi des pages et des scènes vraiment sensationnelles.


Hamlet, Opéra Comique ; © Vincent Pontet

Mais comment redonner à voir aujourd’hui un ouvrage romantique qui, dans la lignée du « grand opéra à la française », mobilisait des forces nombreuses pour produire ses effets. Le metteur en scène Cyril Teste (dont on se souvient du formidable Festen à l’Odéon en 2017) choisit de confronter l’action au regard sur l’action, c’est-à-dire de faire (se) « réfléchir » le récit shakespearien à l’aune d’un monde où l’image est constamment présente, image symbolique (la noyade d’Ophélie) ou image réaliste (le « tournage » en direct de nombreuses scènes comme un reportage projeté en surplomb du « réel »). La dimension politique de l’œuvre est ainsi intelligemment soulignée, mais sans lourdeur. Car une autre dimension s’y révèle, celle de l’intimité, contenue puis brisée entre Hamlet et Ophélie : le public est voyeur – mais il l’est toujours un peu au théâtre. Bien sûr, la récurrence du procédé tourne parfois à vide et l’on se dit qu’il faudrait aussi savoir parfois faire confiance à la musique. Mais globalement, la dynamique de l’image donne à ce spectacle une modernité qui l’installe de plain-pied dans notre univers contemporain et lui donne une force directement appréhensible.


Sabine Devieilhe (Ophélie) ; © Vincent Pontet

Pourtant, c’est la musique qui emporte et confère à cette re-création parisienne d’Hamlet (qu’on n’y a pas vu depuis 80 ans !) un impact dont on mesure l’effet dans les longues ovations d’un public exalté. Sous la direction de Louis Langrée, souvent nuancée mais lâchant parfois un peu trop la bride à son orchestre dans une fosse très sonore, la musique impulse néanmoins une agogique au spectacle qui lui évite l’uniformité. Mais c’est la somptueuse distribution réunie par Olivier Mantei qui fait le prix de cet Hamlet. Qui peut aujourd’hui incarner le rôle-titre avec plus d’élégance et de mélancolie que Stéphane Degout ? Son timbre aux couleurs claires associé à un souffle superbement déployé lui permet de construire un personnage oscillant de la rage à la dépression avec une incroyable vaillance mais aussi une émouvante poésie douloureuse ! La netteté de son émission vocale, la clarté de sa prononciation, l’évidence de ses beaux phrasés expressifs, tout concourt à en faire un Hamlet d’exception. Face à lui, l’Ophélie de Sabine Devieilhe est superlative : là encore, qui peut rivaliser non seulement avec cette voix ductile, aux aigus émis sans jamais la moindre tension, mais aussi avec cette intelligence du personnage, sa douleur ne cherchant jamais l’éclat dans la virtuosité (qu’elle possède pourtant mais sans l’exposer de manière ostentatoire) ? Les frémissements, les frissons de la vocalité, l’art de colorer, d’aquareller la ligne de chant, tout est du grand art, celui d’une artiste qui sait que le chant est là pour exprimer une âme. Autour de ce couple intense, le reste de la distribution ne pâtit pourtant pas, de la Gertrud de grand soprano dramatique de la formidable Sylvie Brunet-Grupposo (quelle puissance de projection ! quelle palette de couleurs !), au Laërte héroïque de Julien Behr (dont on déplore qu’il soit trop longtemps absent après le 1er acte !), du Spectre très noble de Jérôme Varnier au Claudius tout en morgue et en éclat sonore de Laurent Alvaro, et jusqu’aux petits rôles de Marcellus et Horatio, reconvertis en fossoyeurs au dernier acte, dont les excellents Kevin Amiel et Yoann Dubruque affirment la vitalité du chant français.

On peut simplement s’interroger sur le fait qu’aucune autre maison d’opéra en France n’ait voulu coproduire ce spectacle, qu’aucune chaine de télévision n’ait envisagé de le capter : décidément, les efforts de ceux qui croient vraiment à l’importance de la culture et de son renouvellement permanent ne sont pas aidés… Au fait, quelles missions le Ministère de la Culture assigne-t-il à l’Opéra-Comique ? Et que fait-il pour faire rayonner ses productions ? Vaste et récurrent débat !

Quoi qu’il en soit, il faut courir à l’Opéra-Comique : cet Hamlet y vaut le voyage !

Alain Duault

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