Critique – Opéra & Classique

Rodelinda de Georg Friedrich Haendel

« Le retour de Bertarido dans sa patrie »

Rodelinda de Georg Friedrich Haendel

Le personnage historique de Rodelinda vécut un épisode rocambolesque qui se déroula au VIème siècle au nord de l’Italie - entre Pavie et Milan - . Les faits furent rapportés par un moine bénédictin deux cents ans plus tard dans un livre intitulé « Historia Longobardorum » (« L’histoire des Lombards »). Pierre Corneille s’en inspira pour sa tragédie « Pertharite, roy des Lombards » en 1650.

Le dramaturge français simplifia beaucoup les faits et rajouta quelques éléments dramatiques, tels le personnage d’Eduige. L’histoire originelle était beaucoup plus longue, plus complexe et plus cruelle. De la tragédie française, Giacomo Antonio Perti tira un premier Opéra en 1710, sur la base duquel, en 1725, Georg Friedrich Haendel composa sa Rodelinda- sur un nouveau livret signé Nicola Francesco Haym .

L’histoire en quelques mots.
Grimoaldo, le Duc de Bénévent a renversé Bertarido, roi de Lombardie. Le croyant mort, il veut épouser sa veuve, Rodelinda, afin de consolider sa position politique à Milan. Rodelinda, bien embarrassée, fait semblant d’accepter sa proposition à la condition (brutale et inattendue) qu’il tue son fils Flavio : il lui serait en effet insupportable d’être l’épouse de l’imposteur en présence de l’enfant. Bertarido réapparait et suspecte Rodelinda d’être sur le point de céder aux injonctions de Grimoaldo. Son ami Unulfo le rassure : Rodelinda lui a toujours été fidèle. D’autre part, Eduige, la sœur de Bertarido, est très amoureuse du méchant Grimoaldo, au point de l’avoir aidé à abattre son propre frère. Mais ses sentiments ne sont pas partagés. Garibaldo, l’ami et confident de Grimoaldo, aime Eduige, -alors qu’elle le déteste- et tente de tuer Grimoaldo pour avoir méprisé et fait souffrir sa bien-aimée. De façon totalement inespérée, Bertarido s’interpose et tue Garibaldo sauvant ainsi la vie de son rival. Puisque désormais Grimoaldo doit sa vie à Bertarido, tout finit pour le mieux : Bertarido récupère tout à la fois le trône de Milan, sa femme et son enfant. Grimoaldo épouse Eduige et demeure dans son royaume.

Lorsque les dieux de l’Olympe ont quitté la scène baroque, les histoires finissent de façon plus aléatoire : qui aurait pu penser que « Rodelinda » connût une fin heureuse ?

Claus Guth et Stafano Montanai très inspirés.
Claus Guth a situé l’action dans une maison bourgeoise du XIXème siècle, un majestueux décor de Christian Schmidt monté sur une plateforme rotative. Des vidéos d’Andi Müller projetées sur les murs blancs de la bâtisse donnent au spectateur des informations sur les alentours. Le metteur en scène a réglé au millimètre près la position des artistes sur scène, leurs gestes, leurs expressions, toujours au bénéfice de la lisibilité de l’histoire. Deux exemples : afin d’augmenter la tension dramatique juste avant la séparation forcée et sans doute définitive des protagonistes -moment clé de l’histoire (« Io t’abbraccio »)-, il les a placés de part et d’autre de la scène, sans contact physique possible. Le metteur en scène a également imaginé que le petit Flavio -rôle muet-, traumatisé par la brutale disparition de son père, devient autiste soumis à des hallucinations constantes : il perçoit chaque personne autour de lui comme un fantôme effrayant, invisible pour les autres personnages sur scène.

L’orchestre de l’Opéra de Lyon a fait une lecture parfaite de la partition. Bien dirigé par Stefano Montanari, il s’est montré totalement capable d’interpréter le chef d’œuvre en souplesse, légèreté, sens de la mélodie, respect des rythmes, gravité et le juste volume pour ne pas interférer avec les chanteurs,… comme l’aurait fait un orchestre spécialisé en musique baroque.

Sabina Puértolas et Lawrence Zazzo, le superbe « mano a mano »
Sur scène, Sabine Puértolas a affronté avec courage l’écrasant rôle de Rodelinda. Dès le lever du rideau, elle a dû faire face à un air de grande difficulté (« Ho perduto il caro sposo,.. »). Tout au long de la soirée elle s’est montrée tour à tour désespérée, hautaine, résignée, amoureuse, exaltée,… Elle a tenu son rôle avec un grand sens dramatique et d’immenses ressources vocales. Elle fut très justement applaudie.
Le personnage d’Eduige, sa belle-sœur, fut interprété par Avery Amereau avec une assurance vocale et dramatique renversante. Sa voix, au timbre noble, quelque peu obscur, au volume bien régulé a parfaitement caractérisé les obsessions du personnage, centrées sur son amour pour Grimoaldo.

Cependant, c’est Lawrence Zazzo qui a fait montre de la plus parfaite élocution. Le contre-ténor a chanté -et joué- Bertarido en respectant avec acuité, entre mille autres difficultés, les abondants passages en colorature, et ce de la façon la plus académique, sans qu’il y ait eu le moindre doute sur la justesse ni sur le tempo de son chant. A ses côtés, Christopher Ainslie -Unulfo- n’a pas démérité.

Le reste de la distribution fut d’un excellent niveau. Krystian Adam –Grimoaldo- s’est montré percutant, en particulier lors de sa dernière intervention, et Jean-Sébastien Bou a parfaitement travaillé le rôle du fripon Garibaldo. L’acteur colombien Fabián Augusto Gómez Bohórquez a bien servi l’idée du metteur en scène -sans doute la plus originale de la soirée- dans le rôle muet du fils de Rodelinda et de Bertarido : une performance parfaitement traduite.

Rodelinda Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Livret de Nicola Francesco Haym. Coproduction de l’Opéra national de Lyon, Teatro Real de Madrid, Liceu de Barcelona et Opéra de Frankfort. Mise en scène de Claus Guth. Décors et costumes de Christian Schmidt. Vidéo : Andi Müller. Orchestre de l’Opéra de Lyon. Direction musicale Stefano Montanari. Chanteurs : Sabina Puértolas, Krystian Adam, Avery Amereau, Christopher Ainslie, Lawrence Zazzo (les 15, 17, 19 décembre et le 1 janvier) et Xavier Sabata (les 21, 23, 26 et 28 décembre), Jean-Sébastien Bou, Fabián Augusto Gómez Bohórquez.

Opéra national de Lyon les 15, 17, 19, 21, 23, 26 et 28 décembre et 1 janvier
Place de la Comédie. 69001 Lyon
www.opera-lyon.com
Renseignements et réservations : 04 69 85 54 54

Photos : Jean-Pierre Maurin

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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