Opéra
Hamlet d’Ambroise Thomas, chef-d’œuvre de l’opéra français à l’Opéra Comique

Hamlet d’Ambroise Thomas, chef-d’œuvre de l’opéra français à l’Opéra Comique

25 December 2018 | PAR Victoria Okada

Ambroise Thomas, adulé en son temps, est sorti de l’orbite de la planète lyrique depuis bien des décennies. Mais son génie dramatique et sa curiosité pour les sonorités inhabituelles voire inédites font de lui un maître incontesté de couleurs au profit d’une intensité opératique de haute volée. Même en 2018, son œuvre sonne neuve grâce à des combinaisons ingénieuses d’instruments et de timbres.



Œuvre actuelle / actualisation de l’œuvre
La partition est donc foisonnante de couleurs orchestrales, d’effets étranges, d’idées novatrices, comme l’ouverture commençant par des grondements inquiétants en pianissimo puis des silences. Louis Langrée qui dirige cette production audacieuse, l’évoque avec enthousiasme sur les réseaux sociaux, dans différents média et aussi lors de la rencontre à l’Opéra-Comique, lieu de représentations : un long solo de saxophone (ou « saxhorne » comme on l’appelait à l’époque) constituant le tout premier de l’histoire de la musique, autres solos de clarinettes, de hautbois, le plus long solo de trombone (en plus à piston, toujours une invention de Sax) du répertoire lyrique, des percussions comme tam-tam et du tambourin, un quatuor de violoncelles, trompettes dans les coulisses, le chœur à bouche fermée, le fait de confier le rôle-titre à un baryton et non à un ténor, la « non-mélodie » du spectre qui chante sur une seule note comme une déclamation plaintive avec, au-dessous, le cor anglais et saxophone baryton pour un effet fantomatique… Le chef, qui a dirigé l’œuvre à Genève, Amsterdam, Londres ou encore à New York, déclare que cet « objet musical non identifié » ouvrait la voie à Pelléas, effaçant les airs au profit des scènes (« Etre ou ne pas être », etc.)… Et tous ces éléments sont mis en avant par l’Orchestre des Champs-Elysées avec instruments d’époque sous sa baguette avisée, énergique et attentionnée en faveur des « nouvelles couleurs ». Le Chœur Les Elements, préparé par Joël Suhubiette, puissant malgré son effectif restreint, convient à la taille de la salle, tout comme l’orchestre. Cela permet de privilégier la subtilité d’expression, parfois négligée ou inaperçue dans des grandes salles dotées de plusieurs milliers de places…
Cette subtilité, tous les chanteurs en font preuve, et la vidéo filmée en temps réel (une partie préenregistrée) et projetée sur de grands écrans, accentue l’aspect psychologique de personnage. La première mise en scène de Cyril Teste dans l’opéra bouleverse le code en introduisant cette disposition en directe, avec le cameraman et les régisseurs presque constamment visibles sur scène, ils sont parfois là pour réguler le mouvement de la foule. Les jeux de rideaux qui font apparaître et disparaître des personnages, et qui servent également comme écran, modulent les situations, alors que le déploiement de toute la salle (coulisses, parterre, bord de la scène relié à la salle par quelques marches) confère à l’œuvre une profondeur spatiale et psychologique. Toute la modernité est convoquée à créer un opéra éminemment actuel, en actualisant cette œuvre créée en 1868.

Prestige du chaut français
Dans le rôle de Hamlet, Stéphane Degout s’impose définitivement comme l’un des meilleurs chanteur-déclamateur de la langue française. Outre son art du chant à la diction impeccable, son incarnation dans le personnage est tel qu’on sent la détresse et l’angoisse du héros, dans ses regards, dans ses gestes, dans les mouvements de son corps. Pour sa prise de rôle, Sabine Devieilhe, éblouissante et bouleversante, joue une Ophélie désespérée à travers son timbre lumineux, ce qui paraît totalement paradoxal. Même dans les vocalises brillantes, elle préserve une certaine sobriété comme une marque de l’intériorité du personnage qu’elle forge. Impressionnant également est le Spectre de Jérôme Varnier qui apparaît d’abord dans la salle parmi les spectateurs en « déclamant » sur cette fameuse seule note. Sa démarche, ainsi que le ton qu’il donne à sa voix a cette force à la fois effrayante et convaincante. Dans le rôle de Gertrude, Sylvie Brunet-Grupposo explore son timbre riche pour tailler son personnage contradictoire et accablé. Laurent Alvaro (Claudius) et Julien Behr (Laërte) campent leur rôle avec autorité, et Kevin Amiel, Yoann Dubruque et Nicolas Legoux incarnent avec assurance Marcellus, Horatio et Polonius malgré leur apparition furtive. Ces chanteurs, représentants du chant français en plein renouveau, portent haut le répertoire et contribuent ainsi à sa reconsidération inespérée et à son prestige toujours plus croissant.

Prochaines représentations : 27 et 29 décembre à 20 h.

Photos © Vincent Pontet

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Victoria Okada

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