Du spectacle de Renée Auphan, déjà vu en 2014, il y a peu à dire : sage et sans grande surprise (seule la transformation de Germont en pasteur rigoriste modifie un peu les perspectives), il évite cependant la littéralité - les costumes de Katia Duflot, fracs pour les hommes, toilettes plus variées pour les femmes (dont une robe évoquant les années folles) nous transportent à la fin du XIXe, voire au début du XXe, plutôt qu'à l'époque de la création (1853). Au premier acte, le décor d'appartement bourgeois (Christine Marest), ramassé vers l'avant-scène, s'avère étouffant, sans doute à dessein, laissant peu de place à l'action. À l'acte II, l'espace s'ouvre et respire grâce à deux grandes baies vitrées permettant de fort beaux effets de lumières (dus à Roberto Venturi) ; le hors-champ est aussi habilement suggéré. Côté direction d'acteurs, c'est le tableau chez Flora qui apparaît le plus réussi, avec des zingarelle inquiétantes et une séquence de jeu tendue, digne de La Dame de pique. Le dernier acte retombe dans la convention, en dépit du relief conféré aux seconds rôles.

La direction hésitante et mal assurée de Nader Abbassi suit le même chemin : prélude flasque, fête chez Violetta poussive, mais beau second tableau, aux tempi variés et parfois surprenants (un « Di Provenza il mar, il suol » très agreste), finale efficace mais dernier acte moins tenu. En ce qui concerne l'orchestre, si certains tuttis pâtissent de ce manque de colonne vertébrale, les passages chambristes nous ravissent (beaux premier violon et clarinette, entre autres). Notons la même hésitation en ce qui regarde l'édition : la cabalette d'Alfredo est partiellement conservée, mais pas celle de Germont, ni les reprises dans l'air et le duo finaux.

Mais venons-en aux voix. Plébiscitée par certains réseaux, la jeune soprano australienne Nicole Car (trente-trois ans) déçoit, surtout à l'acte I : longue et pénétrante, la voix est cependant plutôt laide, râpeuse, avec une émission très pharyngée qui rend incompréhensible ce qu'elle chante. En outre, après un « Sempre libera » laborieux, la soprano semble, dans la cadence, tendre vers le contre-mi bémol, quitte à l'éluder au dernier moment, pour un résultat disgracieux que lui fait payer, aussitôt, la froideur du public. Mais celui de Marseille est versatile, on le sait : sensible à la séduction physique de l'interprète et à un « Dite alla giovine » bellement phrasé, enfin ému, l'assistance lui accorde une ovation finale qui ne nous a pas parue entièrement méritée. Si elle améliore son élocution (c'est impératif), on imagine davantage Nicole Car en Lady Macbeth qu'en Violetta, dont elle ne possède pas encore toutes les facettes.

Ses partenaires enthousiasment davantage. Bien qu'il cède à la tentation du chant en force à l'acte II, Enea Scala joue ailleurs de son beau legato et de ses couleurs corsées avec beaucoup de sensualité (magnifique « Un di, felice »). Succédant dans cette production à Jean-François Lapointe, un autre Canadien reprend ici le rôle de Germont : avec son timbre clair mais son grave dense, son chant peu vibré, travaillé, presque germanique, Étienne Dupuis contraste vivement avec Scala, campant un père jeune mais implacable, plus tranchant que compatissant, en dépit de l'émotion que le baryton cherche à insuffler au rôle. Bel apport du chœur de Marseille, mais comprimarii guère marquants à l'exception du Douphol imposant de Jean-Marie Delpas (déjà présent en 2014) et, surtout, de l'Annina bien caractérisée de Carine Séchaye. Malgré des entractes pénibles (dont un fort long au milieu de l'acte II), la production a été chaleureusement reçue par un public venu en nombre...

Olivier Rouvière

À lire : notre édition de La Traviata : L’Avant-Scène Opéra n° 51

Nicole Car (Violetta) et Étienne Dupuis (Germont)
Photos : Christian Dresse