Opéra
Sensible Arabella au TCE

Sensible Arabella au TCE

14 January 2019 | PAR Clément Mariage

L’Opéra de Munich venait vendredi 11 janvier présenter au Théâtre des Champs Elysées Arabella de Strauss avec Anja Harteros et Michael Volle dans les rôles principaux. Le résultat fut d’un accomplissement rare, livrant au public parisien ce que l’œuvre de Strauss a de plus émouvant.

Le versant lyrique de l’œuvre de Richard Strauss se fait rare dans la capitale française depuis que l’Opéra national de Paris ne le programme plus (le dernier opéra du compositeur à y avoir été donné est Le Chevalier à la rose, au printemps 2016…). Le Théâtre des Champs-Élysées a choisi cette saison de proposer deux opéras de Strauss : Ariane à Naxos, qui sera donné en version scénique au mois de mars, et cette Arabella, par les forces de l’Opéra de Munich qui viennent au TCE chaque année depuis plusieurs saisons présenter l’une de leur production en version de concert. En l’occurrence, donc, le programme de cette soirée était en lui-même un événement (d’autant plus qu’Arabella n’avait pas été donnée à Paris depuis sept ans). L’autre événement de la soirée était la venue d’Anja Harteros, qui a annulé ces dernières années de nombreux engagements à Paris, mais qui continue d’être admirée par une grande partie du public parisien.

Tous les membres de la distribution réunie ce soir-là préparent à l’Opéra de Munich une reprise de la production de Andreas Dresen, qui débutera le 14 janvier. Presque tous ont en réalité déjà fait partie de la distribution de la création en de cette production en 2015 et ont participé à toutes les reprises, à l’exception de Michael Volle, le rôle de Mandryka ayant été tenu à l’époque par Thomas Johannes Mayer. De fait, on sent que les interprètes connaissent leur rôle sur le bout des doigts, qu’ils ont pu ensemble en approfondir les différentes facettes : sans partition, ils animent l’avant-scène par des déplacements parcimonieux et d’une grande justesse, des gestes et des regards échangés avec complicité et sincérité, si bien qu’on ressort du Théâtre des Champs-Élysées avec l’impression d’avoir assisté à une version quasi-scénique de l’œuvre.

On sent chez Anja Harteros, l’une des interprètes actuelles d’Arabella les plus estimées, toute la densité qu’apporte à une incarnation le côtoiement fréquent d’un rôle. Chaque note tombe juste, chaque geste est d’une extrême intelligence et elle se meut sur scène avec une aisance qui force l’admiration. Et pourtant, elle ne nous aura pas totalement convaincu. Le timbre n’est pas d’une grande beauté, à peine singulier, la voix n’est pas constamment homogène (le bas médium sonne étrangement peu gracieux) et n’est pas non plus particulièrement puissante. L’allemand est bon, sans que l’on ne trouve chez elle les qualités qui font les grandes diseuses. Ces réserves exposées, nous conviendrons qu’elle convainc dans ce rôle et émeut plus d’une fois.

Face à elle, Michael Volle est un Mandryka exceptionnel. Sa voix chaude et sonore, toujours mordante, lui permet de camper son personnage avec une impressionnante autorité. Passant de la tendresse à l’emportement jaloux, de la rusticité à la délicatesse, il est toujours touchant et sa diction nette fait se déployer avec éloquence le texte de Hofmannsthal. Une interprétation absolument épatante.

Hanna-Elisabeth Müller fréquente le rôle de Zdenka depuis plusieurs années, puisqu’elle a fait sa prise de rôle en 2014 à Salzbourg (il existe un DVD de cette production, sous la direction de Christian Thielemann, où le rôle-titre est tenu par Renée Fleming). La voix est maintenant peut-être un peu corsée pour le rôle, un brin acide par moments, mais on trouve en elle une justesse dramatique et musicale ravissante et une fraîcheur de ton vraiment séduisante.

Le Matteo de Daniel Behle est élégant et résolu et sa pratique du Lied s’entend dans ses phrasés distingués et sa diction incisive. Il est par ailleurs capable de passer l’orchestre sans difficulté (il fréquente tout autant Wagner !). Tout juste est-il par instants moins convaincant que ses partenaires sur le plan dramatique.

Quel couple délicieux forment Kurt Rydl et Doris Soffel ! Le premier, qui a maintenant une très longue carrière derrière lui (il fit ses débuts sur scène en 1972), n’a plus une voix toujours homogène (elle a ses aspérités), mais son métier sûr lui assure un abattage brillant et il est d’une justesse complète. La seconde est une Adelaïde à la voix riche et au verbe savoureux, remarquable en tout point.

Sean Michael Plumb en Dominik et Callum Thorpe en Lamoral complètent par leur application et leur charme cette excellente distribution. Le troisième prétendant (premier par son importance, cependant), Dean Power en Elemer, manque de puissance pour passer l’orchestre straussien, ce qui le force à pousser sur sa voix et à durcir son timbre, qui semble alors tout gris.

Sofia Fomina donne du piquant au rôle de la Fiakermilli par sa voix corsée de colorature et Heike Grötzinger use de son vibrato prononcé avec art pour faire tournoyer la partie de la cartomancière, vaticinant sur fond de tourbillons de cordes et pirouettes de bois. Le beau valet de Niklas Mallmann révèle à quel point l’Opéra de Munich a soigné la distribution de cette Arabella, jusque dans les rôles parlés de Welko et Djura, assurés par Sebastian Schmid et Nikolaus Coquillat, membres du chœur.

Le chef allemand Constantin Trinks dirige le Bayerisches Staatsorchester avec une application superlative. Tous les pupitres sont impeccablement en place, la sonorité d’ensemble homogène et le chef prend garde à couvrir le moins possible les chanteurs. Cependant, tout cela reste un peu avare en couleurs et en textures variées, malgré quelques beaux timbres individuel (très belle clarinette basse, notamment) : tout sonnait un peu d’un seul bloc, alors qu’il est possible dans cette œuvre de faire miroiter l’orchestre de teintes très diverses et de mettre en valeur le réseau dense de motifs par des reliefs plus différenciés.

Difficile de dire un mot du Chor der Bayerischen Staatsoper, dans la mesure où la partie du chœur est vraiment très courte, mais elle a été très bien donnée.

Un immense bonheur et d’une émotion intense, donc, qui valurent à l’ensemble des artistes un accueil triomphal aux saluts !


Crédit photographique : Wilfried Hösl

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Clément Mariage

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