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Les Troyens, opéra magistral de Berlioz à Bastille

Hélène Kuttner 26 janvier 2019
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©Vincent PONTET

En hommage à Pierre Bergé qui avait inauguré l’Opéra Bastille en 1990 avec cet opéra, le chef d’orchestre Philippe Jordan s’attaque au grand œuvre d’Hector Berlioz, une épopée lyrique en cinq actes revivifiée par le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov. Si le réalisme de la mise en scène ne parvient pas à éviter les lourdeurs, les chanteurs et les choeurs nous font délibérément monter au septième ciel.

Un travail d’Hercule

©Vincent PONTET

L’Enéïde, La Guerre de Troie, les tragiques grecs mais aussi Shakespeare et Dante on profondément marqué le jeune Berlioz qui passa sa vie avec des personnages mythologiques. A 50 ans, alors qu’il est un artiste reconnu de ses pairs, il décide enfin de se lancer dans la composition totale de cet opéra mythologique où l’épopée militaire et le dilemme amoureux vont de pair. Trois ans de travail, musique et livret sont écrits d’une même plume pour celui qui, à l’instar de Richard Wagner en Allemagne, considérait l’opéra comme un art total. Cinq actes qui partent du siège de Troie dans une première partie, puis de l’arrivée des Troyens à Carthage avec dans les derniers actes une influence très nette de Gluck et de Purcell dans les duos d’amour entre Didon et Enée. Une composition musicale riche et brillante qui fait sonner les cuivres et claquer les percussions en multipliant les ruptures rythmiques et les difficultés techniques pour des chanteurs contraints à des aigus puissants.

Des dictatures en guerre

©Vincent PONTET

Le premier acte s’ouvre dans une capitale actuelle soumise à un blocus guerrier. Magistraux décors d’immeubles en bétons sur rue dans une ambiance crépusculaire et brumeuse pour une foule qui va célébrer la fuite des Grecs, tandis que de l’autre coté de la scène s’ouvre en coupe l’appartement du chef de l’Etat entouré de sa famille nombreuse. Lumière franche, personnages coincés dans la posture rigide et officielle  d’une dictature, la vision délibérément contemporaine de Dmitri Tcherniakov fonctionne très bien dans cette première partie ou des bandeaux d’informations défilent à chaque seconde comme sur CNN pour ménager la tension du spectateur soumis a des retournements de situation. Des projections vidéos livrent aussi sur grand écran les pensées des personnages. Cassandre, la prophétesse extra-lucide, incarnée par une merveilleuse Stéphanie d’Oustrac, enragée et enflammée, retourne la passivité des Troyens en révolte contre l’occupant grec, tandis que son fiancé Chorèbe, que campe Stéphane Degout, sera l’un des soldats sacrifiés lors de l’assaut du Cheval de Troie. Le ténor Brandon Jovanovich est Enée, héros de la guerre de Troie. Puissant, d’une virtuosité athlétique mais souple, sensible, le chanteur parvient à composer un personnage déchirant de sincérité.

Thérapies multi-dimentionnelles

©Vincent PONTET

C’est dans un centre de rééducation thérapeutique pour victimes de guerre que débarquent les Troyens, jambes artificielles et moral en berne. Le décor change alors radicalement, et les couleurs flashy d’une salle aux allures de Club Med sanitaire et social pour regonfler les déprimés de tous ordres remplacent la grisaille des villes dévastées et des femmes violées. Ici, dans une gigantesque cafétéria aux chaises plastifiées et où rien ne manque, ni table de ping pong, ni écran plat qui diffuse en continu les infos, ni aide-soignants en « gilets rouges », la reine Didon, qui vient de perdre son mari Sychée, est adulée de tous. Ekaterina Semenchuk, en tunique jaune canari qui ressemble à un long pyjama, adopte le style papier crépon et cotillons pour jouer et danser avec les patients du centre. Elle ressemble à tout sauf à une reine mais les codes ici sont volontairement cassés et les rivages fleuris de la Méditerranée, les elfes et les divinités deviennent des mots sur des affiches en carton. Dans cette scénographie qui finit pas être ennuyeuse et plate, la soprano russe parvient à nous émouvoir, ligne de chant et musicalité dans les duos d’amour avec Enée, mais le phrasé français et l’élégance de Didon nous manquent. Heureusement il y a les choeurs, nombreux et formidablement dirigés par José-Luis Basso tandis que Philippe Jordan dans la fosse mène son orchestre magistral avec héroïsme. C’est bien une épopée.

Hélène Kuttner

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