Quel meilleur remède en ces temps difficiles que de rire aux dépens d’un personnage rocambolesque ? Pari réussi pour la mise en scène extravagante de Jean-Louis Grinda, qui nous montre une fois de plus à quel point Verdi peut être populaire et moderne. En ce dimanche après-midi, un parfum d’euphorie se fait sentir chez les nombreux spectateurs présents devant l’Opéra de Monte-Carlo. Sans doute savent-ils déjà qu’ils s’apprêtent à assister à une parenthèse hilarante doublée d’une remarquable performance vocale des acteurs.

Falstaff endosse une place unique dans l’œuvre de Verdi. En effet, en plus d’être son dernier opéra, celui-ci fait partie des deux seules comédies composées par le maître. Ainsi, comme le compositeur l'explique dans une lettre à son librettiste Boito, après avoir « sans trêve massacré tant de héros et d’héroïnes », son Falstaff apparaît comme un appel à « rire un peu ». L’intrigue est bien connue : le cocasse Sir John Falstaff, séducteur dans l’âme, se retrouve piégé par deux femmes qu’il a auparavant tenté d’escroquer. Traversant quelques grotesques aventures, notre héros finit par se repentir autour d’un faramineux banquet.

L’originalité de cette représentation repose sur une mise en scène fantasque, a priori bien éloignée de l’esprit de Verdi. Dès le lever de rideau, on découvre le surprenant décor pensé par Rudy Sabounghi : une devanture de bibliothèque constituée de livres géants. Animés, les ouvrages servent, à travers leur thématique, à caractériser les différents espaces de l’action : ainsi la taverne est-elle efficacement représentée par un fascicule sur la bière. Dans cette joyeuse librairie évoluent des personnages identifiés à des animaux de basse-cour. On retrouve les fiers Falstaff, Fenton et Ford déguisés en coqs, les acolytes Bardolfo et Pistola en chats, le docteur Caius en bouc et les coquettes en poules. En singularisant chaque protagoniste par le biais de l’allégorie, Jean-Louis Grinda apporte une lecture plus psychologique de l’œuvre.

Cent ans après sa création à Monaco, c’est donc un Falstaff haut en couleur, admirablement incarné par Nicola Alaimo, qui nous est présenté aujourd’hui. Dès les premières notes, l’audience entière est conquise par la technique du baryton, à son aise dans tous les registres. Son plumage n’a d’égal que la souplesse de sa voix, capable des aigus les plus clairs comme des graves les plus envoûtants. Très en forme également, Vannina Santoni (Nannetta) met tout le monde d’accord avec sa voix cristalline et bien placée, qui convient parfaitement à la fraicheur de son personnage. Aux côtés de Sir John, Jean-François Lapointe (Ford) se révèle excellent, aussi bien dans les situations tendres que frénétiques : son expérience lui permet de jongler entre délicatesse, précision et puissance.

Parallèlement à ces trois grandes révélations, le reste de la distribution est aussi à saluer. Avec sa déclamation syllabique, ses soupirs et ses consonnes percussives, Carl Ghazarossian (Docteur Caïus) s’impose comme le garant du réalisme de la pièce. Son rival Enea Scala (Fenton), conquiert quant à lui la salle par sa voix ronde et chaleureuse. Rachele Stanisci (Alice Ford) se distingue par ses aigus raffinés, toujours maitrisés. Enfin, les deux compères Rodolphe Briand (Bardolfo) et Patrick Bolleire (Pistola) marquent les esprits par leur précision rythmique et leur énergie constante.

Si l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo fait preuve d’une parfaite réactivité et d’un bel équilibre avec les voix, le chœur est nettement en dessous, ne parvenant pas à s’imposer parmi les solistes et les instruments. Mais à en croire les clameurs du public, Falstaff a su charmer l’ensemble de la salle par ses chanteurs talentueux, son accompagnement instrumental harmonieux et son goût pour l’extraordinaire.

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