Lucrezia Borgia de Donizetti au Capitole de Toulouse : le poison et le baume

- Publié le 30 janvier 2019 à 17:28
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Si Annick Massis laisse perplexe dans le rôle-titre, la direction musicale de Giacomo Sagripanti hisse l'écriture de Donizetti à un niveau de noblesse insoupçonné.

Créée à Valence en 2017 avec Mariella Devia, la mise en scène bien tempérée d’Emilio Sagi stylise l’ancrage historique dans une scénographie plus abstraite, où métal et lumières font bon ménage. Le carnaval sacrifie à la mode du noir et gris, mais l’Homme de Vitruve vulgarisé par Manpower est un meuble inutile dans un acte I où la régie est plus bourgeoise que de raison (que de vains gestes des mains chez la Borgia !). La dramaturgie du II se déploie toujours lisible, sans négliger l’altercation chez la Negroni.

Julien Véronèse (Gubetta) et surtout la personnalité de Thomas Bettinger (Rustighello parfait à tous égards) témoignent de la qualité des figures subalternes – le chœur est impeccable. Le Duc noir d’Andreas Bauer Kanabas en impose, avec ce qu’il faut d’animalité dans un chant hautain mais non avare de finesses dans la confrontation. Gennaro bénéficie avec Mert Süngü d’un ténor mâle et clair, dont l’éloquence porte l’intuition profonde de la fatalité. La nuance pourrait être plus libre ou veloutée, le cantabile plus souple, mais l’incarnation émeut d’un bout à l’autre : ainsi du monologue londonien (« Anch’io provai ») ici ajouté avant le duo avec Orsini.

Lequel Orsini fait pâle figure avec Eleonore Pancrazi. Joli et musical, moyennement assuré en bas et en haut, son mezzo manque des couleurs et d’abord de la projection qui feraient exister ce caractère. Annick Massis, dont on n’a pas oublié la poésie magistrale en Lucia sur cette même scène il y a vingt ans, laisse perplexe en dépit des ovations qu’elle recueille. Des moments magnifiques (le larghetto en trio avant la coupe empoisonnée, l’attaque douce et lasse d’« Era desso ») ne dissipent pas le sentiment d’une prudence imposée par une voix feutrée, à la fioriture ternie, en peine de marge dynamique et, plus d’une fois, de substance dans l’aigu (le la bémol tenu au finale du prologue). Lucrezia, es-tu là ? Pour le style et la morbidezza sans doute, mais le rôle appelle du tranchant dans le dialogue, de l’autorité et du danger dans le verbe, un basculement dans le grand pathétique au dénouement, tous aspects mis en sourdine.

Le vrai triomphe de la soirée, sans paradoxe, est celui de Giacomo Sagripanti, dont la direction d’exception, jamais démonstrative, dissipe tous les griefs parfois adressés à l’écriture de Donizetti. Comment fait-il pour harmoniser ainsi le nerf rythmique, l’élégance du dessin, l’intelligence de la touche et de l’arche, l’imagination des timbres, le raffinement et l’urgence ? Ce tout-ensemble à l’écoute de la scène et des climats (ces préludes !) ne doit pas peu à la distinction des pupitres du Capitole, cordes, bois et cuivres réunis. Merci.

Lucrezia Borgia de Donizetti. Toulouse, Théâtre du Capitole, le 29 janvier.

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