La Finta Pazza de Sacrati à Dijon: fausse folie, mais pur théâtre !

- Publié le 12 février 2019 à 19:51
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La mythique Finta Pazza, qui passe pour être le premier opéra joué en France, connaît à Dijon une recréation retentissante et un succès amplement mérité.

A sa création, au Teatro Novissimo de Venise en 1641, La Finta Pazza remporta un extraordinaire triomphe : on acclama le livret de Strozzi, au dramatisme trépidant, la musique de Sacrati, au lyrisme inédit, mais aussi l’interprétation mémorable d’Anna Renzi (la première diva de l’Histoire) et les décors stupéfiants conçus par Torelli (le fameux « sorcier »). Ce dramma per musica, narre un épisode fameux de l’Iliade : les amours secrètes de Deidamia et Achille (caché par sa mère, sous un déguisement de femme, à la cour du Roi Lycomède), contrariés par les stratagèmes d’Ulysse et Diomède, venus convaincre le héros de prendre part à la Guerre de Troie.

Cet ouvrage fondateur de l’esthétique vénitienne devint l’un des fleurons des troupes itinérantes (les Febi armonici et les Discordati) qui le diffusèrent à travers toute l’Italie (Plaisance, Bologne, Florence, Gènes, Turin, Reggio Emilia et Naples), jusqu’à la cour de France (à la grande salle du Petit Bourbon) en décembre 1645. Sa partition ne fut pourtant redécouverte qu’en octobre 1984, par Lorenzo Bianconi, dans les archives du Palais Borromée, sur l’Isola Bella. Ressuscitée par Alan Curtis à la Fenice en juillet 1987 (avec Jeffrey Gall, Marina Bolgan et Carlo Gaifa, dans des décors inspirés de Torelli), l’œuvre ne fut rejouée qu’une seule fois, en 2010, à l’université de Yale.

Cette troisième production moderne fera date : outre qu’il s’agit d’une première en France, elle révèle un pur chef-d’œuvre ! Grâce doit être rendue, en premier lieu, à l’éblouissante mise en scène de Jean-Yves Ruf, qui avait déjà signé celle d’Elena de Cavalli, en 2013 à Aix-en-Provence. Tout d’économie (décor minimaliste mais idéalement évocateur) et d’efficacité (revisitant les codes visuels de l’épique, du comique et du merveilleux), ce spectacle est aussi élégant (superbes costumes de Claudia Jenatsch) que rythmé, grâce à une direction d’acteur réglée au millimètre.

Mariana Flores (Deidamia) s’y montre aussi prodigieuse tragédienne qu’admirable chanteuse (en particulier dans sa mémorable « scène de la folie »). Le ténor Marcel Beekman incarne une Nourrice haute en couleurs, alliant idéalement tendresse maternelle et drôlerie détonante. Kacper Szelazek, falsettiste au chant large et voluptueux, campe un savoureux Eunuque (autre rôle à l’ambiguïté sexuelle typiquement vénitienne). Le trio héroïque, Achille, Ulysse (deux magnifiques contre-ténors, Filippo Mineccia et Carlo Vistoli) et Diomède (l’agile ténor Valerio Contaldo), fait preuve d’une vaillance et d’une profondeur lyrique toujours convaincantes – on n’oubliera pas de sitôt les deux bouleversants duos d’amour d’Achille et Deidamia, ni les plaintes poignantes de Diomède. Même les rôles secondaires sont supérieurement traités : ne citons que l’impressionnante prestation de la basse Scott Conner en Vulcain fulminant.

Enfin, Leonardo Garcia Alarcon s’affirme comme le maître incontesté de l’opéra baroque vénitien. Sa démarche s’inscrit dans le droit héritage de René Jacobs (comme lui, il dirige chaque note de récitatif pour mieux laisser s’épanouir l’émotion) et de Gabriel Garrido (par son orchestration et son continuo foisonnants jusqu’au délire). L’énergie débordante du chef, l’intelligence du metteur en scène et l’excellence des interprètes ont rendu tout son éclat à ce vrai joyau. Il a fait l’objet d’une captation vidéo à Dijon, et doit être repris à Versailles : à (re)découvrir impérativement !

La Finta Pazza de Sacrati. Dijon, Opéra, le 10 février.

Prochaines représentations : les 16 et 17 mars, Versailles, Opéra Royal.

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