A Karlsruhe, un Serse de Handel en folie !

- Publié le 18 février 2019 à 19:16
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En ouverture des Haendel Festspiele de Karlsruhe, Max Emanuel Cencic signe une production corrosive et jubilatoire, avec la complicité de George Petrou et d'un Franco Fagioli au sommet.

Chaque mois de janvier, le Staatstheater de Karlsruhe se transforme en une Mecque handélienne bizarrement peu connue du public français voisin. En deux semaines, les quarante-deuxièmes Haendel Festspiele voient ainsi défiler Franco Fagioli, Max Emanuel Cencic, David Hansen, Ann Hallenberg, Vivica Genaux, Romina Basso, Deborah York, George Petrou, Andreas Spering, Hervé Niquet… Deux productions lyriques en scène et une dizaine de concerts sont au programme, la manifestation se montrant ouverte à des esthétiques théâtrales aussi diverses que celles de Floris Visser, Benjamin Lazar, James Darrah… ou Cencic metteur en scène.

Trop d’équipes adeptes du sirop de fraise ont pu cueillir, ces dernières années, des Serse aussi mignards qu’interminables. Pas de risque avec la transposition voulue par Cencic dans le Las Vegas ultra-kitsch du film Liberace, du nom d’un pianiste follissime à plumes et paillettes auquel un Franco Fagioli déchaîné identifie le roi de Perse dès la scie « Ombra mai fù » – jouée au piano, candélabres sur le couvercle, et ornements d’époque… seventies ! Ça baise, ça sniffe, ça brandit des doigts d’honneur sur les ritournelles conclusives, les décors s’envolent à vue de la gigantesque scène à tournette, où alternent villas de luxe, bureaux au soixantième étage, avenues de palmiers et wedding chapels… Vulgaire ? Diablement en phase, surtout, avec un livret dont l’humour corrosif est si souvent passé à la trappe, mais aussi avec une structure musicale unique chez Handel, fondée sur la continuité entre récit et arioso, la répétition, la variation, que la direction d’acteurs exploite certes avec exubérance mais non sans subtilité – Cencic a suffisamment souffert comme chanteur des inhibitions de certains régisseurs devant les da capopour ne pas tomber dans ce piège.

Cet esprit de comédie vénitienne irrigue aussi la direction de George Petrou, d’une fluidité admirable entre un continuo nourri et le tutti des Deutsche Händel Solisten (l’orchestre du festival), par nature plus dense que raffiné, mais dont le chef obtient le maximum de détails, de transparence et d’équilibre. Sans renoncer à l’énergie, en adéquation avec celle du plateau, mais sans oublier non plus le contrepoint de cette étrange mélancolie, distillée autant par la mélodie que par les trouvailles harmoniques, qui élève Serse au-dessus de la gaudriole comme de la galanterie.

Ramage à la hauteur du plumage, le roi Fagioli roucoule et éructe donc avec un aplomb sidérant, de cette voix de poitrine toujours impressionnante aux fusées d’une colorature vigoureuse (« Crude furie » !). Entouré des couvertures de ses disques d’or « Me and Haendel » ou « Another Haendel album », il se roule avec délice dans l’autoparodie qui pardonne toutes les incertitudes rythmiques et d’émission.

Plateau superlatif à ses côtés, Cencic se dédoublant entre la régie et Arsamene, où il délivre un « Amor, tiranno amor » d’une puissance expressive bouleversante dans la concentration du timbre et l’appui du phrasé. Lauren Snouffer est tout simplement l’une des plus belles Romilda entendues ces dernières années : ductilité et précision du souffle, délicatesse des nuances, lumière du timbre vont de pair avec le charme et la vivacité de la comédienne. Seconda et terza donna également parfaites, une Katherine Manley qui assume son Atalante frustrée avec un instinct théâtral infaillible (c’était la Fair Lady de Robert Carsen au Châtelet), et une Ariana Lucas aux moyens et à l’abattage impressionnant en Amastre. Les cinq représentations continuent jusqu’au 26 février, alternant avec une reprise d’Alcina vue par James Darrah, avec David Hansen, James Boden, et la nouvelle étoile Lauren Fagan. Courez !

Serse de Handel. Karlsruhe, Staatstheater – Haendel Festspiele, le 15 février.

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