« Girls of the Golden West », nouvelle quête de l’or lyrique contemporain

- Publié le 1 mars 2019 à 18:01
HOME
Créé en novembre 2017 à San Francisco, le nouvel opéra de John Adams et Peter Sellars est donné en première européenne à Amsterdam jusqu'au 17 mars.

Le plus fécond des tandems de la scène lyrique contemporaine nous parle encore de l’Amérique. Comme toujours ? Pas tout à fait : cette fois, John Adams et Peter Sellars tournent le dos à la chronique XXe siècle pour aller aux sources du mythe américain, sur les traces des chercheurs d’or au mitan du XIXe siècle, dans leur Californie d’adoption. C’est une recherche sur La fanciulla del West (1910) de Puccini — adaptée de la pièce The Girl of the Golden West (1905) de David Belasco — qui a mis Sellars sur cette piste, mais le librettiste et metteur en scène a surtout fait confiance aux lettres de l’écrivain Louise Clappe (Dame Shirley sur le plateau) et croisé ses sources (épistolaires, littéraires…). Si le propos est historiquement référencé, il permet à l’artiste engagé de faire écho à des préoccupations finalement très actuelles — violence de groupe, atteintes à la dignité humaine, tensions ethniques, sexisme, préservation de la nature…

John Adams n’est pas davantage prisonnier du modèle puccinien, quand bien même il ne renonce pas à un certain lyrisme de la ligne vocale. Dès les premiers coups de pioche sur scène, le maître post-minimaliste nous régale d’une écriture pulsée raffolant des syncopes et des ostinatos, admirablement boisée et cuivrée, jusqu’à faire fleurir quelques fanfares entêtantes. Le symphoniste brille aussi par les cordes tissées dont il habille ses duos d’amour et autres scènes intimistes ; le legato de miel qu’y fait couler le luxueux Philharmonique de Rotterdam est un baume pour l’oreille. Le choeur maison aussi est saisissant, peut-être parce que le compositeur lui assigne un rôle très direct, un phrasé efficacement simple sans tomber dans la veine folk, où la répétition du mot peut épouser celle de la note.

Le plateau, reconduit de San Francisco à Amsterdam, donne tout son sens au « s » ajouté par Sellars au Girl de la pièce, tant il témoigne d’une belle diversité féminine. Devenue une fidèle d’Adams, Julia Bullock incarne la quasi narratrice Shirley avec une éloquence remarquable, armée d’un soprano lyrique bien creusé dans le médium. Impressionnante J’Nai Bridges (Josefa Segovia) à ses côtés, bientôt une Carmen puis une Dalila, déjà un mezzo au timbre de bronze ; Hye Jung Lee (Ah Sing) complète le trio du haut de son agilité dans le colorature léger. Chez les hommes, deux fortes incarnations : le « forty-niner » Joe Canon de Paul Appleby, qui met ce qu’il faut de veulerie dans son lumineux ténor mozartien ; et Davone Tines (Ned Peters), dont le sensible et sombre baryton-basse avait déjà marqué chez Kaija Saariaho au Palais Garnier.

Mais la proposition serait-elle trop distendue (environ deux heures trente de musique) ? La direction musicale de Grant Gershon peine à maintenir notre attention dans le Far West stylisé par le décor de David Gropman où Sellars, en orpailleur, cherche sa chère épure — qu’il ne trouve pas complètement. Peu importe. Un Adams moins percutant sinon secondaire vaut mieux que les créations sans lendemain présentées à l’Opéra de Paris ces dernières années : à quand Nixon in China, The Death of Klinghoffer ou Doctor Atomic, voire ces Girls qui ne manquent pas de charme, sur notre première scène nationale ?

Girls of the Golden West d’Adams. Amsterdam, Opéra, le 28 février.

Diapason