Cecilia Bartoli incarne un Ariodante transgenre à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_123-ariodante__2019_-_alain_hanel_-_omc__1_ © Alain Hanel

Spectacle-phare de l’édition 2017 du festival de Pentecôte de Salzbourg, cette production d’Ariodante de Georg Friedrich Haendel atteint cette fois les bords de la Méditerranée, à l’Opéra de Monte-Carlo. Elle est signée par Christof Loy, dont on connaît les points de vue souvent radicaux voire déroutants (on se souvient de Vêpres siciliennes à Genève pas piquées des vers il y a quelques années..), tout en reconnaissant son incroyable talent de directeur d’acteurs. Dans cette mise en scène, le régisseur allemand entraîne le spectateur dans une réflexion sur la confusion des genres et des sexes, sur laquelle repose bon nombre d’ouvrages baroques. De fait, écrit à l’origine pour un castrat, le rôle-titre est aujourd’hui chanté par une femme habillé en travesti, tandis que Polinesso était chanté à la création par une femme à la voix grave, remplacée de nos jours par un contre-ténor. Pour mieux perdre le spectateur dans ce tourbillon des sexes, Ariodante perd ses attributs masculins en cours de route, au moment où il pense Ginevra infidèle, et le héros délaisse alors sa barbe et son épée pour revêtir la robe de son amante, qu’il croit perdue pour lui (tandis que Ginevra enfile, à-rebours, le manteau et les cuissardes de son amant…). Un renversement de situation qui ne laisse pas de troubler, d’interpeller, d’autant qu’Ariodante vole un air de Ginevra après le Ballet des songes (chorégraphies signées par Andreas Heise). Des danseurs qui participent à cette confusion des genres puisque certains d’entre eux sont vêtus d’habits féminins, la plupart en costumes d’époque, et d’autres en tenues plus contemporaines, rajoutant à la confusion sexuelle une confusion toute temporelle…

Dans le rôle-titre, Cecilia Bartoli - déjà Angelina (de La Cenerentola) in loco l’an passé - est loin de décevoir nos attentes et compose un Ariodante d’une bouleversante intensité, notamment dans le fameux « Scherza infida » - tendu de ligne jusqu’à l’insoutenable. Ailleurs, elle sait montrer des éclats de fureur, de désespoir rageur, ou feindre l’ébriété dans l’air «  Con l’ali di costanza », qu’elle délivre ainsi en hoquetant, pour mieux se jouer des vocalises. Elle fait également preuve de jubilation, comme avec le « Dopo la notte », qu’elle exécute crânement, tout en faisant des ronds de fumée avec un vrai cigare ! Impressionnante Reine de la nuit au dernier festival d’Aix-en-Provence, la soprano américaine Kathryn Lewek se situe sur les mêmes hauteurs que sa partenaire dans le rôle de l’infortunée Ginevra. De sa formidable noblesse de ligne, de la densité de son timbre, de sa formidable palette de couleurs, de l’audace de ses ornementations, ou de son superbe engagement scénique, on ne sait qu’admirer le plus. La Dalinda de Sandrine Piau - que nous déjà avions entendue à Aix en 2014 - renouvelle l’émotion qu’elle sait distiller dans sa déploration du III. De son côté, le contre-ténor français Christophe Dumaux campe un fascinant Polinesso, ce « méchant » caricatural et cruel, auquel il prête ses attaques arrogantes et sa voix surpuissante (et qui n’a aujourd’hui que Franco Fagioli comme rival en terme de puissance et d’ambitus). De son timbre corsé et franc, le ténor étasunien Norman Reinhardt dessine un Lurcanio viril et ardent, qui fait par ailleurs fi des airs virtuoses auxquels sa partie le confronte au II. Enfin, la basse hongroise Peter Kalman prête au Roi d’Ecosse son timbre ferme mais la colorature et le legato sont en revanche parfois précaires (à l’image de son Sénèque nantais la saison dernière).

Face à l’une des partitions les plus inspirées de Haendel, la direction du chef italien Enzo Capuano - déjà en fosse lors de la Cenerentola précitée - possède, elle aussi, ce niveau de mérite. A la tête de cette somptueuse formation que sont Les Musiciens du Prince-Monaco (dont il vient tout juste d’être nommé chef principal), il alterne aimables colorations orchestrales (les nombreux intermèdes dansés) et rage, larmes, flamme et éclats de rire quand la partition les réclame.

Chose assez rare pour être soulignée, c’est debout que le public acclame - avec force vivats - les artistes au moment des saluts.

Emmanuel Andrieu

Ariodante de Georg Friedrich Haendel à l’Opéra de Monte-Carlo (du 22 au 28 février 2019)

Crédit photographique © Alain Hanel

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