Après deux saisons passées au Théâtre des Nations dans le quartier du même nom, la population genevoise est conviée à retrouver son Grand Théâtre, entre le Conservatoire de musique et le Musée Rath, non loin du fameux Victoria Hall. Quel plaisir de redécouvrir notre maison d’opéra dont la façade a été lavée des outrages de récentes manifestations et dont l'intérieur a été agrandi, pourvu de salles de répétition adéquates pour le ballet et les chœurs. Passées les belles portes du hall en bois, on admire la rutilance des ors, les peintures ravivées, les fresques magnifiées : le Grand Théâtre de Genève se donne aujourd’hui des airs d’Opéra de Paris !

En guise de retrouvailles, la maison propose aux Genevois une tétralogie qui a marqué les esprits ici même il y a quelques années. Avant même que la musique ne commence, Dieter Dorn, metteur en scène, offre des projections d’images de guerre, de bombardement, de prisonniers, de billets de banques : le monde réel est là dans sa plus lugubre froideur. Faisant pressentir la fin de cette fresque wagnérienne, un énorme cube venu du ciel traverse la scène et s’enfonce à la vitesse d’une comète dans les ténèbres rougissantes. Saisissant.

Des profondeurs émergent des ombres, des bêtes rampantes : nous sommes au fond du fleuve, l’or du Rhin resplendit telle cette flûte diaphane qui transperce la nuit. L’introduction orchestrale dans ces ténèbres constitue un des temps forts musicaux de la soirée qui, dans un grand crescendo magnifique, fait miroiter un Orchestre de la Suisse Romande dans une forme d’athlète, vitaminé mais sans stéroïdes. L’équilibre entre scène et fosse n’est jamais mis à mal sous la baguette passionnante de Georg Fritzsch : le maestro rassemble le son d’une manière dense, sans gommer les élans, ni pour autant verser dans une débauche de décibels.

Parmi les nombreuses réussites, on retient la très belle scène des filles du Rhin qui se jouent d’Alberich. Dans le rôle du Nibelung voleur de l'or, Tom Fox offre un personnage abouti, doté d’une belle voix. On apprécie l’évocation des sirènes en rollers, élégantes dans leurs robes couleur d’eau, aux mousselines aériennes virevoltantes telles de grandes algues dans le courant. Les costumes et décors de Jürgen Rose subliment à merveille les dieux, d’une blancheur séraphique, évoquant la Grèce antique ou le Japon des samouraïs, alors que les personnages du Nibelheim sont d’une noirceur effrayante, tout droit sortis de l’imaginaire d’un Tolkien.

L’arrivée des dieux est splendide. On note le Wotan hiératique de Tomás Tómasson qui incarne un chef des dieux sobre, efficace, au timbre caverneux de baryton-basse. Sa femme Fricka est campée par la mezzo Ruxandra Donose qui ravit par un timbre suave et chaud, tandis qu'Agneta Eichenholz, soprano à la voix étincelante, incarne magnifiquement sa sœur Freia.

Accompagnés idéalement par la direction musicale, l’ensemble des chanteurs offrent une unité de jeu et vocale de haute tenue. Soulignons le Loge parfait de Stephan Rügamer qui envoûte par une aisance scénique à toute épreuve, assortie d'une diction et d'une projection exemplaires. Dans le rôle de Mime, le ténor Dan Karlström est un acteur formidable, doublé d’une voix saine au service de l’action théâtrale.

Le finale verra l’entrée sur scène des harpes qui accompagneront le départ en montgolfière des dieux sur fond de grand arc-en-ciel coloré : ce prologue aura tenu ses promesses et laissé le public en attente de la suite, tant musicalement que scéniquement, d’une aventure d’ores et déjà passionnante.

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