La Divisione del Mondo à l’Opéra du Rhin : l’Olympe de la débauche

- Publié le 5 mars 2019 à 06:14
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L'opéra baroque vénitien a le vent en poupe ! Alors que Dijon vient de voir renaîtreLa Finta Pazza de Sacrati, les Opéras du Rhin et de Lorraine présentent La Divisione del Mondo de Giovanni Legrenzi (1626-1690).

Cet ouvrage en trois actes a été créé le 4 février 1675 au Teatro San Salvador de Venise : un énorme succès, confirmé jusqu’en 1699 dans toute l’Italie par pas moins de treize productions différentes. Il ne fut pourtant ressuscité qu’en 2000 au Festival de Schwetzingen, par Thomas Hengelbrock et Philippe Arlaud (avec Kobie van Rensburg, Hilary Summers, James Taylor…).

L’œuvre est singulière : elle revêt un style « de transition », entre le dramma per musica de Cavalli et l’opera seria d’Alessandro Scarlatti. La musique est d’une variété et d’une beauté éblouissantes : les arie (déjà presque toutes da capo), aux amples mélodies (dont l’ornementation préfigure la vocalité du XVIIIe) sont clairement alternées avec des récitatifs, parfois secs, mais encore marqués du sceau expressif du recitar cantando. L’orchestre revêt une importance accrue, avec de larges sinfonie et surtout d’amples accompagnements. Toutefois, le livret de Giulio Cesare Corradi manque singulièrement de théâtralité : point d’action ni d’intrigue véritable ; les seuls personnages sont les Olympiens qui, après leur victoire sur les Titans, doivent se diviser le monde. Tout n’est finalement qu’affaire de sexe, d’adultère, voire d’inceste, tandis que Vénus attise le désir des Dieux et suscite la jalousie des Déesses.

La mise en scène de Jetske Mijnssen (dont on avait adoré l’Orfeo de Luigi Rossi, créé à Nancy en 2016) tente de donner vie et consistance à ce vaudeville plus grotesque que divin. Elle le transpose à l’époque moderne, dans une riche demeure bourgeoise, où se côtoient les quatre générations d’une famille décadente. Son décor monumental écrase les personnages, souvent abandonnés à une simple présence statique dès lors qu’ils ne s’expriment plus : les sentiments (ternis par l’insincérité générale) et les actes paraissent peu crédibles, toutes les passions sont affadies.

En revanche, la réalisation musicale de Christophe Rousset (qui a repris pour l’occasion la partition établie par Hengelbrock) est particulièrement séduisante. Avec son continuo profus et efficace (ne comptant pas moins de sept instruments réalisateurs) et son ensemble orchestral d’une admirable cohésion (mêlant cordes, flûtes et cornets), il restitue avec intelligence la diversité de couleurs d’une partition emplie de pépites (telle la fameuse aria de Vénus, « Lumi potete piangere », que l’Arpeggiata avait autrefois métamorphosée en un improbable duo édulcoré).

Le plateau vocal séduit diversement, en raison de sa disparité de timbres et de techniques (amplitudes de vibrato, agilités et justesses variables). On retiendra surtout l’incarnation lumineuse de Sophie Junker, Venus libidineuse et versatile à souhait, les emportements souvent comiques et parfois émouvants de Julie Boulianne en Junon, et la radieuse Cintia de Soraya Mafi : sans doute le personnage le plus touchant de cette production troublante, entre splendeur sonore et dramaturgie inaboutie.

La Divisione del Mondo de Legrenzi. Mulhouse, Théâtre de la Sinne, le 3 mars.

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