Madeleine est sens dessus dessous : on lui a arraché son mari Chapelou le jour de ses noces pour en faire le plus grand chanteur de la cour de Louis XV. De simple postillon, il est devenu le célèbre ténor Saint-Phar. Pourtant Madeleine ne se résigne pas. Elle s'enhardit jusqu'à le suivre à Paris pour le conquérir de nouveau et se venger. Entre vaudeville et histoire d'une ascension sociale, Le Postillon de Lonjumeau narre les aventures d'un homme qui épouse deux fois la même femme, le tout sur une toile de fond Ancien Régime que le XIXe siècle voulut libertin.

Après Le Domino noir et La Nonne sanglante en 2018, la partition d'Adolphe Adam est réhabilitée à son tour par l'Opéra Comique et revient à l'affiche de la salle Favart pour la première fois depuis 1894. Le balletomane averti connaît plutôt Adam comme le compositeur du célébrissime Giselle, mais les mélomanes ne peuvent qu'être conquis par sa pléthorique production opératique. Dans Le Postillon de Lonjumeau, créé pour la première fois en 1836, le genre même de l'opéra est tourné en dérision, avec autant d'humour et de légèreté que de profondeur.

Pour l'occasion, Michel Fau retrouve la salle Favart, qu'il avait quittée en triomphe après Ciboulette il y a quelques années. Le metteur en scène s'empare du livret rocambolesque d'Adolphe de Leuven et de Léon-Lévy Brunswick et en fait ressortir toute la folie grandiloquente. Sur la scène défilent pièce montée surdimensionnée, équipage fantasmagorique et lit à baldaquin stylisé : tout est sous le signe du débordement et du merveilleux. La mise en scène est admirablement complétée par les décors d'Emmanuel Charles. Les motifs héraldiques, astrologiques et floraux des rideaux de scène se succèdent dans un tourbillon de couleurs chatoyantes et acidulées. Les changements d'éclairages (Joël Fabing) animent l'ensemble par un subtil jeu de lumières colorées. L'assemblage bigarré n'arrive pourtant jamais à saturation et s'il est kitsch, c'est sans vulgarité. Quant aux costumes, ils sont tout simplement époustouflants de démesure et de luxe. Christian Lacroix s'est inspiré des costumes d'origine, sans pour autant opérer une plate reconstitution. C'est le XVIIIe siècle tel qu'il aurait pu être rêvé par le XIXe. Le chœur déambule, richement coiffé de chapeaux et de perruques extravagantes et fleuries : la beauté plastique de l'ensemble fascine et la magie du costumier opère.

Le choix du ténor américain Michael Spyres pour jouer le postillon était attendu. Le rôle requiert en effet une tessiture très particulière, capable d'aller du registre du baryton à l'extrême aigu du registre de ténor (le fameux contre-ré de la « Ronde du postillon »), le tout associé à une technique irréprochable, parfois à la limite de l'acrobatie vocale. Le chanteur s'acquitte du rôle avec maestria. Clou du premier acte, la « Ronde du postillon » pourrait un instant mettre en danger le chanteur, mais ce n'est qu'éphémère et après tout un peu grisant. Le timbre puissant et profond de Spyres domine le plateau et conquiert l'auditoire au fil des morceaux de bravoure qui scandent la partition d'Adam. La soprano Florie Valiquette, qui lui donne la réplique dans le rôle de Madeleine, n'est pas en reste en matière de virtuosité vocale. C'est avec beaucoup d'abattage, mais aussi de légèreté et de grâce que la chanteuse se saisit du rôle. Dans les duos, les deux solistes emportent la salle. Les dialogues parlés sont pétillants à souhait ; les dialogues chantés, particulièrement délicats, touchent à la perfection. Les rôles secondaires (Franck Leguérinel dans le rôle du marquis de Corcy et Laurent Kubla dans le rôle d'Alcindor) apportent un équilibre nécessaire à l'édifice vocal et se marient élégamment aux voix des deux solistes dans les ensembles. Dans sa robe écarlate à paniers, Michel Fau s'est réservé le rôle parlé de Rose. Le metteur en scène campe une suivante hilarante, qui enchante le public de son badinage précieux.

L'Orchestre de l'Opéra de Rouen et le Chœur Accentus livrent une interprétation gracieuse et nuancée de la musique d'Adolphe Adam. Les ressorts comiques de la partition (satire de la tragédie lyrique, parodie d'airs de grand opéra) sont élégamment exploités sous la direction de Sébastien Rouland. Gageons que cette réjouissante production a de beaux jours devant elle !

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