Reprise de La Juive selon Peter Konwitschny à l'Opéra de Flandre

Xl_lajuive_19_mg_9156_cannemieaugustijns © Annemie Augustjins

Jusqu’aux années 30, La Juive de Jacques Fromental Halévy appartenait au répertoire international et jouissait d’une grande popularité, tout particulièrement dans les pays germaniques. Sa (quasi) disparition de l’affiche semble devoir être attribuée à la réticence des spectateurs vis-à-vis du Grand-Opéra à la française qui, malgré les efforts de redécouverte de ces dernières années, reste victime d’accablants préjugés. L’Ouvrage est pourtant fertile en surprises ; chacun des cinq actes témoigne d’une dramaturgie d’un riche intérêt poétique, s’appuyant sur une description vivante des situations sur une musique au dramatisme captivant. Construite autour de quelques scènes-clefs, La Juive tire sa force de ses chœurs puissamment rythmés, de son tissu mélodique très dense et de ses airs à l’allure farouche. Après avoir été étrennée in loco à l’Opéra de Flandre (Gand) en 2015, la production imaginée par l’iconoclaste Peter Konwitschny - que nous avions vue et chroniquée lors de sa reprise strasbourgeoise en 2017 - fait donc son retour sur la scène gantoise. Si l’on doit toujours déplorer les importantes coupures, on reste en revanche séduit par les idées fortes et originales qui émaillent le spectacle, comme faire chanter leur grand air à Rachel et à Eléazar au beau milieu du parterre (pour le reste, nous renvoyons le lecteur à nos précédents commentaires).

La distribution est ici entièrement renouvelée à l’exception du rôle-titre, l’américain Roy Cornelius Smith, dont la diction apparaît relâchée en cette soirée de dernière, a contrario de Strasbourg où il avait pris davantage de soin à prononcer la langue de Molière. Mais son engagement vocal et scénique est tel qu’il emporte cependant les suffrages, d’autant qu’il reste le seul ténor que nous ayons jamais entendu a avoir le courage de se confronter à la meurtrière cabalette « Dieu m’éclaire ! ». Même si la soprano américaine Corinne Winters ne possède pas tout à fait l’impossible largeur de voix nécessaire pour camper Rachel (rôle chanté pour la première fois par Cornélie Falcon, qui laissera son nom affilié à une typologie vocale), elle n’assume pas moins avec un vrai aplomb vocal sa périlleuse partie, offrant par ailleurs une voix à la fois belle, puissante, homogène et sûre. Elle se montre surtout saisissante de vérité dramatique, notamment au moment où elle délivre - au beau milieu de la salle - son air principal, « Il va venir… ».

En attendant de l’entendre un jour dans le rôle-titre - sa voix de baritenore désormais suffisamment développée y ferait merveille… - , c’est dans le rôle de Leopold qu’est distribué le superbe ténor sicilien Enea Scala. On ne peut que regretter que sa magnifique Sérénade du I « Loin de son amant » ait été supprimée, où son flamboyant registre aigu aurait eu l’occasion d’enflammer nos oreilles. Il est par ailleurs ce soir le chanteur ayant la meilleure diction de notre langue, et l’on ne perd pas une seule syllabe de tout ce qu’il délivre, ce qui n'est pas la moindre qualité de sa brillante prestation. Privée de son Boléro, l’Eudoxie de l’américaine Nicole Chevalier convainc moins bien : la vocalisation manque de fluidité, la prononciation s’avère souvent défaillante, et la technique vocale n’est pas toujours sûre. En Cardinal de Brogni, la basse italienne Riccardo Zanellato est superbe de legato et son registre grave, fortement sollicité ici, fait forte impression. Quant au jeune baryton croate Leon Kosavic - plébiscité dans ces colonnes pour son Figaro (du Barbiere) strasbourgeois et son Figaro (des Nozze) liégeois -, il se montre impeccable d’éloquence et de diction dans le double rôle de Ruggiero et d’Albert. Quant aux choristes maison, ils s'avèrent excellents, comme à leur bonne habitude serait-on tenté de dire....

A la tête d’une Orchestre symphonique de l’Opéra de Flandre inspiré, l’excellent chef italien Antonino Fogliani fait preuve d’autant de goût que de compétence, contribuant de manière déterminante à la réussite de la soirée. Il confirme lui aussi que La Juive mérite de reprendre sur nos scènes nationales la place éminente qui était la sienne jusqu’au début du XXe siècle !

Emmanuel Andrieu

La Juive de Jacques Fromenthal Halévy à l’Opéra de Flandre, le 6 avril 2019

Crédit photographique © Annemie Augustjins

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