A Bruxelles, un Robert le diable de Meyerbeer à se damner

- Publié le 8 avril 2019 à 22:08
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Cette version de concert d'un chef-d'œuvre du grand opéra est porté à incandescence par la direction musicale d'Evelyne Pido et une distribution sans maillon faible.

Notre-Dame de Paris, Robert le diable : 1831 année gothique, où le diable défie le bon Dieu. Avec son rameau magique, son (anti)-héros fils du démon, son sabbat de nonnes surgies de leur tombeau, le livret de Scribe et de Germain Delavigne actionne les ressorts d’un Moyen-Age légendaire et fantasmé. Meyerbeer, qui inaugure sa carrière française, éblouit par sa science de l’orchestre et réussit la synthèse entre Spontini, Rossini et Weber. Robert devient symbole du « grand opéra », où le raffinement le dispute à la pompe, spectacle pour les yeux aussi, grâce aux immenses moyens de la salle Le Peletier. Et très vite un tube du répertoire, en France – 758 représentations à Paris jusqu’en 1893, avant la résurrection de 1985 – et dans le monde, qui inspirera Balzac, Chopin, Liszt… et Degas.

En 2011, La Monnaie accueillait Les Huguenots d’Oliver Py. Pour Robert, simple version concert au Bozar. Le théâtre est là, néanmoins, grâce à un Evelino Pidò survolté, galvanisant le chœur et l’orchestre de la Monnaie, qui croit en l’œuvre et la prend à bras-le-corps, pas moins soucieux des combinaisons de timbres dont se régalait Berlioz. Sans doute faudrait-il, pour ressusciter Adolphe Nourrit, que Dmitry Korchak abuse moins des aigus en voix de poitrine, mais ils sont si aisés, l’articulation est si impeccable, le phrasé si fuselé, qu’on le lui pardonne vite. Lisette Oropesa renouvelle en Isabelle sa performance des Huguenots parisiens : rondeur fruitée de la voix, projection de tous les registres, agilité virtuose, nuances de rêve.

Nonobstant un timbre moins délectable, Yolanda Auyanet impose une Alice magnifique, au phrasé d’école, fiancée de l’excellent Rimbaut de Julien Dran. Mais le plus impressionnant est Nicolas Courjal, enfin une vraie basse profonde, qui sculpte les mots et les notes, Bertram terrifiant ou persifleur, écartelé entre l’amour paternel et l’allégeance à Lucifer, dont la ligne ne dévie jamais : un patricien des ténèbres. Seconds rôles parfaits, avec Patrick Bolleire et le jeune Pierre Derhet. Les coupures n’affectent pas l’équilibre de l’ensemble – et il reste encore trois heures et demie de musique.

Robert le diable de Meyerbeer. Bruxelles, Bozar, le 5 avril.

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