Der Freischütz saboté à l'Opéra national du Rhin

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Der Freischütz de Carl Maria von Weber (créé à Berlin en 1821) est, de notoriété publique, l’exaltant monument fondateur de l’opéra romantique allemand, dans le droit fil de Die Zauberflöte et de Fidelio. Il n’en est pas moins pour tout réalisateur une véritable pierre d’achoppement avec son mélange de quotidien et de fantastique, de fleur bleue et de mysticisme, autant d’ingrédients purement et simplement balayés ici par le duo Jossi Wieler et Sergio Morabito, les directeurs de la Staatsoper de Stuttgart (où Eva Kleinitz officiait avant de prendre les rênes de l’Opéra national du Rhin), dont nous avions détesté le travail sur Ariodante (à Stuttgart) et Norma (à Palerme). Pour figurer Samiel, l’ange noir qui manipule les protagonistes, les deux hommes ont pensé à un drone, qui apparaît dans les moments clés de l’action en ombre chinoise, projetée sur des décors (signés Nina von Mechow) évoquant l’univers de la BD et des mangas, avec grand renfort de couleurs criardes. La fameuse scène de la Gorge-aux-loups regorge d’images vidéos de frappes aériennes et autres destructions massives. Les nombreux dialogues parlés sont débités recto tono, ce qui devient vite lassant et même insupportable, les deux trublions n’ayant de cesse de se moquer - voire de saboter - un ouvrage qu’on aurait préféré qu’ils cherchent à défendre…

Le plateau vocal offre un tout autre bonheur, même si Lenneke Ruiten, qui chante le rôle d’Agathe, doit laisser la place (en dernière minute) à sa collègue Katja Bördner, arrivée seulement une heure avant la représentation ! Dans ces conditions, Lenneke Ruiten a dû mimer le rôle pendant que sa consoeur chantait sa partie devant un pupitre sur le côté droit de la scène. Impossible de dire du mal de quelqu’un qui sauve une soirée, mais disons que nous pensons avoir perdu au change, et les deux sublimes airs du personnage  « Trüben Augen » et « Und ob die Wolke » ne nous ont pas apporté le frisson escompté. C’est autrement convaincant que se montre le ténor finnois Jussi Myllys, dont le timbre solide, coloré et brillant, ainsi que la vaillance, témoignent bien de la filiation de Max à Tannhäuser. C’est le cas aussi de la délicieuse Josefin Feiler, dont le soprano fruité et précis apporte toute la fraîcheur rêvée au personnage d’Ännchen. La basse bavaroise David Steffens habite le rôle de Kaspar à la perfection : la voix est mordante, saine dans l’aigu, large mais toujours projetée avec un maximum de netteté dans le grave. Ashley David Prewett campe un Ottokar plein de morgue, Jean-Christophe Fillol un Kilian à la saine autorité, Frank van Hove un Kuno inhabituellement noir et menaçant, et Roman Polisadov un Ermite qui sait chanter sans emphase. Enfin le Chœur de l’Opéra national du Rhin est à la fête dans ce répertoire, et s’acquitte de sa tâche avec un enthousiasme réjouissant.

Mais le « clou » de la soirée reste cependant la battue du chef allemand Patrick Lange à la tête d’un Orchestre Symphonique de Mulhouse métamorphosé. Dès les premières mesures de l’ouverture, la sécheresse râpeuse des cordes, les appels sourds des cors, et la violence coupante des bois composent une mosaïque sonore font leur petit effet. Et pendant toute la représentation, la phalange alsacienne ronfle, rugit, s’emporte avec une démesure inouïe parce que le chef ose la laideur lorsque l’expression l’exige. En excellent chef de théâtre, il noue spontanément le dialogue entre les voix et réserve aux passages symphoniques un traitement à la fois majestueux et flamboyant. Bravo à lui !

Emmanuel Andrieu

Der Freischütz de Carl Maria von Weber à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 19 mai 2019

Crédit photographique © Klara Beck
 

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