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Malveillant

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Opera Vlaanderen
04/24/2019 -  et 26, 28, 30 avril, 2 (Antwerpen), 12, 14, 16, 18 (Gent) mai 2019
Hèctor Parra: Les Bienveillantes (création)
Peter Tantsits (Maximilian Aue), Rachel Harnisch (Una), Natascha Petrinsky (Héloïse Moreau), David Alegret (Aristide Moreau), Gianluca Zampieri (Dr. Mandelbrod, Grafhorst, Kaltenbrunner), Günter Papendell (Thomas Hauser), Michael J. Scott (Kommissar Clemens, Häfner, Hauptmann 1), Donald Thomson (Kommissar Weser, Hartl, Ober, Bierkamp, Hauptmann 2), Claudio Otelli (Blobel, Dr. Hohenegg, Organist), Hanne Roos (Quartett 1., Hilde, Frau 1), Maria Fiselier (Quartett 2., Helga, Frau 2), Denzil Delaere (Quartett 3.), Kris Belligh (Quartett 4., Hans, Mann, Russe), Sandra Paelinck (Hedwig), Erik Dello, Dejan Toshev, Mark Gough (Schupos)
Koor Opera Vlaanderen, Jan Schweiger (chef de chœur), Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen, Peter Rundel (direction)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décor), Michael Bauer (lumières), Ingo Krügler (costumes)


(© Annemie Augustijns)


Ceux qui pensent que Calixto Bieito s’assagit se trompent lourdement. Le metteur en scène se défoule pour la création des Bienveillantes de Hèctor Parra (né en 1976), d’après le roman éponyme de Jonathan Littell, qui a remporté, en 2006, le prix Goncourt et le grand prix du roman de l’Académie française. Bieito use et abuse de crudité, de laideur et de saleté pour relater l’histoire de Maximilian Aue durant la Seconde Guerre mondiale, entre 1941 et 1945. Totalement invraisemblable, ce personnage fictif occupe dans l’argument une position centrale, lui qui a agi comme officier SS à Babi Yar, Stalingrad, Antibes (où il assassine sa mère et son beau-père), Auschwitz, en Poméranie ou encore à Berlin.


Les excès de la mise en scène semblent agacer, voire indisposer, une partie des spectateurs : certains désertent la salle pendant la première partie, d’autres durant la pause, alors que le public de l’Opéra des Flandres manifeste habituellement une grande ouverture d’esprit. Ce ne sont probablement pas les horreurs perpétrées par les nazis qui causent cette désaffection, dans la mesure où la scénographie évacue étonnement la moindre référence au contexte historique. D’une envergure de tragédie grecque, cette mise en scène provoque le malaise à cause d’un mélange rarement atteint de violence, de stupre et de déjection. Le site de l’institution flamande précise en toute transparence que cette production contient des scènes explicites et qu’elle ne convient donc pas aux personnes de moins de seize ans, malgré la présence épisodique, parmi les figurants, de trois enfants qui semblent se demander ce qui se passe autour d’eux. Mais la psychologie de Maximilian Aue en devient secondaire et les intentions de ce spectacle paraissent finalement vaines. En comparaison, la mise en scène de Calixto Bieito de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, reprise dans cette salle il y a trois ans, constitue une inoffensive récréation.


Il faut toutefois reconnaître la beauté de certaines images – le piano qui monte vers les cintres alors qu’une femme y joue, la projection de flocons de neige sur Maximilian – et le geste théâtral puissant de Calixto Bieito, directeur d’acteur hors pair. Mais le problème de cet ouvrage réside moins dans la musique et le traitement que le metteur en scène lui applique que sa durée, inhabituellement longue pour un opéra contemporain : trois heures. Le temps semble s’écouler lentement, Parra n’étant ni Mozart, ni Strauss, ni Wagner. Le librettiste, Händl Klaus, ne pouvait probablement pas condenser davantage le propos de ce très gros roman dont la structure particulière se reproduit dans cet opéra, subdivisé en huit parties nommées comme une suite (Toccata, Allemande I et II, Courante, Sarabande, Menuet, Air, Gigue) – le personnage principal affectionne, en effet, la musique de Bach.


Ni trop aride, ni trop ardue, cette partition pour grand orchestre comporte des moments intenses et inspirés, d’autres moins prenants et plus banals, les qualités ne suffisant pas à conserver en permanence l’attention durant tout le spectacle. Perfectionnée auprès de Jonathan Harvey, Brian Ferneyhough et Michael Jarrell, l’écriture confère toutefois à cette composition une certaine cohérence esthétique, malgré, à un moment, dans la seconde moitié, l’emploi inutile de l’électro-acoustique. Les parties vocales, qui évoquent Berg, permettent de délivrer de beaux moments de chant, en particulier pour l’interprète d’Una, la sœur jumelle de Maximilian qui entretient avec elle une relation incestueuse – oui, aussi.


L’implication des chanteurs force l’admiration, en premier lieu Peter Tantsits qui assure une performance, à tous points de vue, extraordinaire dans le rôle lourd et difficile de Maximilian. Le reste du plateau mérite les applaudissements nourris du public. Rachel Harnisch compose le personnage d’Una avec justesse et sensibilité, le tout servi par un chant de belle facture. Si Natascha Petrinsky, qui incarne la mère, chante un peu trop fort et aigu, les contributions décisives de Günter Papendell, de Gianluca Zampieri, de Hanne Roos et de Marie Fusellier, pour ne citer qu’eux, prouvent que l’Opéra des Flandres a su réunir une distribution capable d’affronter cette œuvre-fleuve avec la plus grande confiance. Le chef, Peter Rundel, à la tête d’un orchestre affûté et constant, défend avec conviction cette vaste partition tout en contrôlant le volume pour éviter d’écraser les chanteurs. Les choristes se montrent, une fois de plus, totalement impliqués et n’hésitent pas à se salir pour contribuer pleinement à l’art de Calixto Bieito.


La réaction du public se révèle à l’image de cette production inégale : les applaudissements résonnent plutôt timidement, du moins au début des saluts, certains spectateurs se lèvent, d’autres restent assis, la plupart d’entre eux reconnaissant à juste titre le travail du chef et des chanteurs – le metteur en scène, en revanche, ne se montre pas, au contraire du compositeur, plutôt bien accueilli. Nuremberg et Madrid, où la production sera prochainement montée, pourront se forger leur propre opinion.



Sébastien Foucart

 

 

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