Annoncée comme « nouvelle production » dans le programme, la mise en scène de Charles Roubaud ressemble comme deux gouttes d’eau au spectacle qu’il avait monté aux Chorégies d’Orange en juillet 2012. Évidemment, la taille de la goutte est différente ce soir de celle d’il y a sept ans, adaptée alors aux très grandes dimensions du Théâtre Antique, mais on retrouve à Marseille l’élégance et le classicisme de cette réalisation visuelle.

La scénographie très symétrique de Dominique Lebourges présente à nouveau un palais impérial sur deux niveaux, l’empereur Altoum délivrant ses annonces à l’étage entre les deux petits pavillons. Les projections vidéo sont très réussies et permettent d’installer rapidement les ambiances successives, en particulier la forêt de bambous au moment de l’évocation par Ping, Pang et Pong de la « casa nell’Honan », ou encore les deux dragons qui se mettent en mouvement à la toute fin de l’opéra. Turandot entre en scène par la double porte centrale, à l’intérieur d’une sphère en treillis métallique, comme défendue par cette protection contre les hommes. La princesse de glace quittera son habit noir pour une robe blanche lorsqu’elle s’abandonnera à Calaf à la conclusion de l’ouvrage, au cours du long duo composé par Franco Alfano. Il est à noter que les somptueux costumes sont de Katia Duflot.

Dans le rôle-titre, Ricarda Merbeth nous rappelle une autre grande titulaire, Dame Gwyneth Jones, dans sa seconde partie de carrière. Wagnérienne tout comme elle, le grave est inconfortable, le vibrato très développé, l’accent peu italien, mais les aigus sont tranchants – quelques-uns proches du cri –, avec par exemple un « quel grido » glaçant qui part comme une flèche. Antonello Palombi en Calaf, remplaçant Rudy Park qui a dû annuler pour raisons de santé, s’était soudainement rendu célèbre un soir de décembre 2006 à La Scala de Milan dans une représentation d'Aida. C’est ce ténor qui avait été littéralement poussé sur scène – en tenue décontractée jeans et chemise dans la mise en scène de Franco Zeffirelli ! – après le départ d’un Roberto Alagna vexé, consécutif aux huées venant des loggionisti.

Les atouts du ténor italien sont nombreux : quelques notes émises dans un volume énorme, avec un impressionnant passage des énigmes, un registre grave de couleur barytonnale et quelques efforts d’élégance de la ligne, en particulier dans son « Nessun dorma ». Ce style athlétique a toutefois ses limites, la partie la plus aigüe n’étant pas la plus jolie ni la plus puissamment projetée – l’exemple le plus frappant étant le contre-ut sur « ti voglio ardente d’amore »… exprimé, mais vraiment très timidement ! Incarnant Liù, la soprano Ludivine Gombert contraste fortement avec Turandot : une voix musicale, lyrique, ronde, mais qui manque peut-être de ces ineffables pianissimo qui font le charme de ses grands airs « Signore, ascolta ! » et « Tu, che di gel sei cinta ». Jean Teitgen compose un impeccable Timur, d’une autorité et d’un creux dans le grave spectaculaires. Armando Noguera (Ping), Loïc Félix (Pang) et Marc Larcher (Pong) forment un trio de ministres équilibré et de caractère bouffe, tandis que Rodolphe Briand est bien moins chevrotant que plusieurs anciennes gloires de ténors très avancés en âge, souvent distribués dans le rôle d’Altoum.

La direction musicale de Roberto Rizzi Brignoli est plutôt lente à l’entame puis s’anime rapidement, proposant aux auditeurs de déceler tous les détails de la partition. Le chef maintient constamment le volume sous contrôle et ne se laisse pas aller à des débordements de décibels, y compris pour les finales de chacun des trois actes, brillants mais pas assourdissants. Les chœurs, préparés par Emmanuel Trenque, se montrent vaillants mais pas toujours parfaitement synchronisés. Le chœur d’enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône est quant à lui remarquable de cohésion et de délicatesse dans ses courtes interventions.

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