La question qui se posait avant la première de Nabucco, ouvrage qui n’avait pas été donné à l’Opéra de Québec depuis 1995, était la suivante : le tube « Va, pensiero » allait-il suffire à attirer les foules pour entendre un opéra verdien de jeunesse d’un intérêt dramatique plutôt quelconque ? En termes d’assistance, la réponse est certainement positive, la salle Louis-Fréchette étant quasi pleine pour la première représentation. Sur le plan artistique, la réussite s’impose avec passablement moins d’évidence.

Après les splendides décors de Werther l’automne passé, l’habillage scénique de Nabucco est on ne peut plus famélique et se résume à quelques tentures opaques où sont projetés des motifs architecturaux à l’antique aux couleurs généralement ternes. Pendant les changements de décors (on se demande d’ailleurs ce qu’il y a à changer…), le public patiente devant des brumes qui auraient eu davantage leur place dans un opéra « écossais » comme Lucia di Lammermoor ou Macbeth que sur les riantes rives de l’Euphrate. Seul le « Va, pensiero », chanté derrière un grillage à barbelés, fait vraiment image.

Actif autant en Europe qu'en Amérique du Nord, le metteur en scène manitobain Michael Cavanagh situe l’action à une époque plus ou moins actuelle, Nabucco étant une sorte de dictateur entouré d’une junte militaire avec pantalons de camouflage et bérets rouges. Si cette actualisation du drame biblique n’est pas sans pertinence, le statisme des chœurs et la direction d’acteur déficiente rend difficile l’identification aux protagonistes. On peine ainsi à croire à l’amour entre Fenena et Ismaele, la tentative de suicide de ce dernier au deuxième acte n’étant guère plus convaincante. La scène entre un Nabucco fou et Abigaille au troisième acte tourne quant à elle presque au vaudeville. La plupart du temps, on a l’impression que les chanteurs sont laissés à eux-mêmes et tentent peu ou prou de comprendre les motivations de leur personnage.

Sur le strict plan vocal, ce n’est malheureusement guère mieux. L’Abigaille de Michele Capalbo déçoit, avec une voix où on cherchera en vain un quelconque legato et où les consonnes sont aux abonnés absents. Le timbre passe constamment d’un placement trop appuyé dans le masque à un son exagérément poitriné rédhibitoire. Dans sa cabalette du deuxième acte, le premier contre-ut ne sort pas et certaines vocalises sont même escamotées. Quant au ténor Steeve Michaud, s’il remporte quelque succès dans les emplois plus dramatiques (son Rinuccio dans Gianni Schicchi avait été assez réussi), il peine à trouver sa place dans les rôles plus bel cantistes, après un Duc de Mantoue qui avait déjà montré ses limites. Si la voix est forte et généreuse (jusqu’à enterrer certains collègues à la fin du deuxième acte), les aigus sont uniformément poussés – le chanteur se dressant chaque fois sur la pointe des pieds – et la diction est grevée par un étrange zozotement. Malgré un vibrato trop large, Geneviève Lévesque offre une Fenena honnête, nettement plus à l’aise en seconde qu’en première partie. En Zaccaria, la basse italienne Giovanni Battista Parodi, habitué des grandes scènes européennes, charme par son timbre capiteux, mais est systématiquement faux dans les aigus.

Heureusement, le rôle-titre est assuré avec maestria par l’excellent James Westman, que nous avions adoré dans Louis Riel il y a deux ans. Même si la voix n’a peut-être pas toujours l’ampleur souhaitée, la technique est assurée, avec des aigus d’une impressionnante facilité, un legato onctueux et un timbre d'une belle rondeur. Son air du dernier acte, « Dio di Giuda » est un grand moment de musique et de chant. Rien à dire des plus petits rôles, qui excellent en tous points. Le chœur est bien sûr un des atouts de cette soirée, notamment dans le « Va, pensiero », chanté avec nuances et conviction dans un tempo idéal, mais aussi dans ses nombreuses apparitions tout au long du spectacle. L’orchestre est mené avec panache par Giuseppe Grazioli, qui en fait tout de même un peu trop à l’occasion, notamment à la fin du deuxième acte.

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