Si on ne peut que féliciter l’Opéra Royal de Wallonie d’avoir mis à l’affiche pour la première fois de son histoire La Clemenza di Tito, cette œuvre trop longtemps restée dans l’ombre des autres grands opéras mozartiens, on sort de la belle salle liégeoise sur une impression mitigée.

Le duo Cécile Roussat-Julien Lubek – qui signe non seulement la mise en scène mais aussi les décors, costumes, chorégraphie et éclairages (très beaux) de cet ultime opéra de Mozart – ne cède pas aux deux approches les plus évidentes qui seraient de situer l’action dans la Rome antique du livret ou à l’époque de la création en 1791. Le tandem choisit de placer l’œuvre dans une mythologie qui nous amène dans un passé lointain et un lieu indéterminé où vivent, dans une forêt mystérieuse, un peuple de bons sauvages et impressionnants acrobates, suprêmement indifférents aux drames et passions des aristocratiques protagonistes.

Le spectateur se retrouve directement plongé dans un univers où se bousculent les références et, selon le goût et les préférences de chacun, on y retrouvera quelque chose du Magicien d’Oz, de La Flûte enchantée, d’Avatar, de Max et les Maximonstres, de La Planète des singes ou encore des bandes dessinées d’anticipation de Philippe Druillet – et la liste est loin d’être exhaustive. Les protagonistes s’insèrent sans faille dans cet univers onirique et on n’est qu’à peine étonné de voir en Servilia – modèle de pureté dans sa belle robe à longue traîne – un croisement de Mélisande et de la Princesse Leia de Star Wars. Annio est une espèce d’archange blanc à une seule aile, Vitellia est vêtue d’une sorte de combinaison rouge et arbore une belle crête de punkette, Publio est un mystérieux homme des bois aux mains-griffes surdimensionnées, Sesto un faune inclassable tout droit sorti d’un manga, alors que Tito est un digne roi-centaure que son croupion (en fait une crinoline équine) ne semble pas beaucoup gêner dans ses mouvements.

Si on y ajoute les incessants mouvements des acrobates dans les airs – ou plus exactement dans la forêt de cordes qui pendent des cintres – et au sol, la surenchère visuelle du premier acte est par moments franchement éprouvante. Le deuxième acte est marqué par un retour à plus de sobriété, le décor étant à présent constitué de rochers sur fond bleu. Il y aura encore un lot de surprises, comme ces deux danseurs vêtus en moines de Shaolin – crâne rasé, torse nu, pantalon bouffant – qui encadrent Sesto enchaîné, ou la joyeuse tribu de Cro-Magnons qui acclame Tito.

Si le foisonnement d’idées est incontestable, il débouche malheureusement sur une saturation visuelle qui risque à tout moment de distraire des beautés de la musique, ce qui serait fort dommage car il y a beaucoup de choses positives à relever dans cette production. À la tête d’un orchestre en très bonne forme, Thomas Rösner tient solidement ses troupes en main tout en se montrant capable de beaucoup de tendresse dans les passages lyriques. La Vitellia de Patrizia Ciofi paraît assez fatiguée dans un premier temps mais la voix reprend heureusement peu à peu des couleurs. Cecilia Molinari offre une belle incarnation d’Annio, alors que Verónica Cangemi est une Servilia très convaincante. Physique imposant et voix caverneuse, la basse Markus Suihkonen est un impressionnant Publio.

Leonardo Cortellazzi offre une très belle incarnation du rôle-titre : dans un premier temps, on est un peu surpris par une voix qui manque de ce côté melliflu qu’on attend d’un ténor mozartien. Mais son timbre légèrement métallique, son impeccable diction et sa belle assurance nous donnent un Tito finalement très convaincant. La véritable triomphatrice de cette production est cependant Anna Bonitatibus dont le Sesto est une merveille : quelle maîtrise vocale, quelle richesse de couleurs et de nuances, quel engagement dramatique ! Cette production mérite donc qu'on y prête une oreille attentive, quitte à fermer les yeux de temps en temps.

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