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Un dernier bal qui ne tourne ni la tête ni les sens

Dans le final d'«Un ballo di maschera» de Verdi, le dernier échange entre Amelia (Irina Churilova) et Gustavo (Rámon Vargas).

Une page se tourne avec «Un ballo di maschera» de Giuseppe Verdi, à l'affiche du Grand Théâtre, dernier spectacle proposé par Tobias Richter. La boucle est même bouclée après dix ans de règne du directeur, commencé en 2009 par un autre ouvrage de Verdi, «Simon Boccanegra». Mais comme jadis, on en ressort avec des sentiments partagés. Le coup d'éclat n'est pas au rendez-vous, bien que les intentions et les moyens y soient. Comme si les promesses n'arrivaient pas à se transformer en succès indiscutable et que les réserves finissaient par déteindre sur les qualités.

Et c'est malheureusement l'image même du mandat de Tobias Richter qui en pâtit. Il termine sur des résultats réjouissants, en atteignant hier le cap des 5000 abonnés, en hausse de 17% par rapport à la saison précédente. Mais le «Bal masqué» verdien qui vient clore l'aventure ne fait tourner ni la tête ni les sens.

Architecture gigogne

L'affiche avait pourtant bien des atouts. Giancarlo del Monaco est certes un vieux briscard de la mise en scène d'opéra, habile sans être révolutionnaire, mais capable d'imposer des univers visuels prégnants. Abordant pour la première fois «Un ballo in maschera», il en utilise la version originale, qui se déroule à la cour de Suède. L'intrigue, basée sur l'assassinat réel du roi Gustave III, en 1792, avait en effet retenu l'attention du compositeur, mais Verdi avait dû transposer l'action en Amérique pour obéir à la censure des théâtres italiens.

Le metteur en scène, partisan du dépouillement spectaculaire, et son décorateur, Richard Peduzzi, réduisent les espaces dramaturgiques à deux univers, tantôt urbain, avec une architecture gigogne en bois aux lignes épurées (allusion à une entreprise d'ameublement suédoise?), tantôt sauvage et ténébreux, avec un seul bloc erratique représentant le domaine d'Ulrica la prophétesse et la lande où pousse l'herbe de l'oubli. D'un côté, le lieu du pouvoir et des intrigues; de l'autre, celui des révélations et de la vérité. Sauf que ce schématisme échoue à caractériser les spécificités de chaque endroit et fige l'histoire dans un décor impersonnel.

Au jeu des faux-semblants, des fausses identités, des faux jetons et des fautes à l'honneur, «Un ballo di maschera» remporte la palme. Si Giancarlo del Monaco saisit bien ce travestissement des apparences, l'omniprésence des masques culminant dans la scène du bal où toute la cour affiche le même visage, il s'appesantit sur la noirceur tragique au détriment de la légèreté, réduite au seul rôle d'Oscar. De la griserie troublante du bal, il ne reste qu'une chorégraphie sinistre et statique, un excès d'artifice, sans feux.

Le meilleur de la soirée vient de la fosse, où officie Pinchas Steinberg, qui retrouve pour quelques soirs ses anciens musiciens de l'OSR. Le chef distille cet équilibre chaud et froid qui manque à la scénographie, soigne l'acidité des teintes chez Ulrica, la noblesse d'Amélia quand elle pose sa voix sur le violoncelle… On le sent toutefois corseté par un plateau qui peine à suivre ses élans. Certains personnages tirent leur épingle du jeu, à commencer par l'impressionnant Anckarström de Franco Vasallo, baryton aux aigus tranchants. Son épouse, Amélia, amante du roi Gustavo, trouve en Irina Churilova une incarnation forte. À part quelques approximations d'intonation et des tensions dans les aigus murmurés, la soprano russe impressionne et séduit durablement, tout comme, dans le registre virevoltant, l'Oscar pour le coup authentiquement suédois de Kerstin Avemo. Judit Kutasi en Ulrica fait son effet, volume et vibrato compris: frissons garantis.

Timbre suave et franc

Quant au Gustavo de Ramón Vargas, il semble subir les événements plutôt que d'agir. Le timbre du ténor mexicain est toujours aussi suave et franc. On sent cependant un interprète manquant de souplesse et de souffle, courant après la musique en déphasage avec l'orchestre. Il donne ainsi, mais à son corps défendant, l'impression d'un roi qui perd les pédales.

«Un ballo in maschera». De Giuseppe Verdi, Grand Théâtre, jusqu'au 22 juin. Rens: www.geneveopera.ch