Isabelle Druet et Florian Laconi, duo de choc dans Carmen à Saint-Etienne

Xl_carmen_2_1 © Cyrille Cauvet

Nous avions déjà assisté à cette Carmen, signée par Nicola Berloffa, à l’Opéra de Rennes en juin 2017, et nous avons grand plaisir à la retrouver à l’Opéra de Saint-Etienne. Le metteur en scène italien transpose l’intrigue dans l’Italie fasciste des années 30, et c’est donc sous un jour austère et sombre que l’histoire de Prosper Mérimée nous est ici contée, loin des clichés colorés trop souvent attachés à cette œuvre avant tout tragique. La scène finale est celle qui marque le plus durablement les esprits : sur un cyclorama défilent les images de la Carmen tournée par Ernst Lubitsch en 1918, qui font redondance avec l’arrivée sur scène des choristes figurant les spectateurs du défilé et de la corrida, images intelligemment floutées à l’arrivée de Don José, alors que commence le duo final qui s’achèvera par la mort sanglante de l’héroïne.

Dans le rôle de la sulfureuse cigarière, Isabelle Druet s’avère d’une beauté vocale surprenante, et d’une personnalité attirante, comme on avait déjà pu s’en féliciter à l’écoute de sa Junon rhénane (dans Platée) ou plus dernièrement de sa Baba niçoise (The Rake’s progress). La mezzo française offre également une voix sonore, à la superbe projection, aux graves soutenus, au médium charnu et au phrasé remarquable. Par ailleurs formidable comédienne, la chanteuse capte également l’attention par son assurance et son aplomb scéniques : une Carmen sur laquelle il faut désormais compter ! A ses côtés, Florian Laconi est tout simplement stupéfiant dans un rôle où il n’a guère qu’Alagna comme Rival parmi les ténors français d’aujourd’hui. L’élégance du phrasé, le brillant du timbre, la vérité de ses accents en font un Don José extrêmement touchant, d’autant qu’il est plus investi sur le plan scénique que naguère. Très applaudie il y a deux mois en Liu à l’Opéra de Marseille, la soprano avignonnaise Ludivine Gombert reçoit une ovation méritée après son grand air « Je dis que rien ne m’épouvante » : son art du chant se déploie avec aisance, et même avec une louable puissance, sans que cela ne se fasse au détriment de la ligne et du phrasé. Si le baryton québécois Jean Kristof Bouton fait valoir, dans le rôle d’Escamillo, une dégaine et une silhouette particulièrement séduisantes, on déplore un registre grave peu audible alors qu’il lance en revanche des aigus étonnamment projetés et puissants. La réussite d’une distribution repose également sur les rôles secondaires, tous tenus sans faiblesse par de jeunes artistes français, à commencer par le Zuniga de Jean-Vincent Blot dont la beauté du timbre n’a d’égal que l’aplomb vocal. C’est par ailleurs un excellent tandem que forment Julie Mossay (Frasquita) et Anna Destraël (Mercédès), permettant aux deux temps forts que sont le quintette et le trio des cartes d’être aussi des pinacles musicaux. Citons encore le solide Moralès de Frédéric Cornille, ainsi que les excellents Remendado de Marc Larcher et Dancaïre de Yann Toussaint.

La direction du chef provençal Alain Guingal se montre intelligente et imaginative, et il faudrait pouvoir relever toutes les trouvailles dramatiques qu’il apporte à la partition de Bizet. Sous sa battue, l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire sonne magnifiquement, et on ne sait qui louer le plus, la flûte ensorcelante dans l’intermède du troisième acte, ou bien les percussionnistes qui mettent tout leur talent à rendre cette musique vivante et énergique. Le Chœur lyrique Saint-Etienne Loire est également digne de louange, surtout pour la façon dont il colore les mots de mille nuances, comme par exemple dans le morceau d’ouverture « Drôles de gens »...

On n’a pas pu compter les rappels tant ils ont été nombreux !

Emmanuel Andrieu

Carmen de George Bizet à l’Opéra de Saint-Etienne (juin 2019)

Crédit photographique © Cyrille Cauvet
 

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