Simon Boccanegra est plutôt bien servi ces dernières années dans le Sud de la France : l’Opéra Grand Avignon l’a programmé en mars 2015 (mis en scène par Gilles Bouillon), puis l’Opéra de Marseille en octobre 2018 (par Leo Nucci), avec respectivement les deux excellents barytons verdiens George Petean et Juan Jesús Rodriguez dans le rôle-titre.

La production de David Hermann accueillie par l’Opéra Orchestre National Montpellier a été créée à l’Opéra des Flandres début 2017 et reprise depuis au Staatstheater Karlsruhe ainsi qu'au Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg. Sur le vaste plateau de la salle du Corum, deux tournettes concentriques permettent de déplacer rapidement les éléments de décors conçus par Christof Hetzer, ceci parfois à vue pendant un tableau. Au cours du prologue, Simon voit ainsi les deux parois latérales se rapprocher de son bureau, dans un sentiment d’écrasement. Les styles et époques sont un joyeux mélange : Fiesco apparaît d’abord en riche costume et fraise blanche autour du cou, puis au premier acte – soit 25 ans plus tard – dans une tenue actuelle de Monsieur-tout-le monde, portant chemise à carreaux et blouson. « L’orgueilleux palais » et sa « magnificence » évoqués par Amelia dans son grand air à l’entame du premier acte ne font pas très glamour : peintures très défraîchies, planches de bois qui barrent les fenêtres, malles métalliques posées dans un coin et matelas jeté à terre. Un pistolet est également omniprésent : Simon fait mine de se suicider au prologue, avant que les bouchons de champagne ne sautent pour fêter l’élection du nouveau doge, puis Amelia menace Simon pendant le premier acte, avant que le méchant Paolo habillé en gardien de prison ne tienne en joue Gabriele (acte II), celui-ci visant ensuite Amelia, puis encore Simon… Ce procédé de répétition est aussi utilisé par les deux compères Pietro et Paolo qui communiquent par téléphone de part et d’autre de la scène.

L’image forte de la soirée est cependant le tableau du Conseil concluant le premier acte, transformé ici en Cène par le réalisateur. Lorsque Gabriele déboule en centurion romain – cuirasse dorée, jupette rouge et du sang sur les bras et jambes –, puis qu’Amelia en Vierge Marie monte sur une table, le spectateur se doute bien d’une construction scénographique en cours. Un peu de fumée, des éclairages en clair-obscur, et onze apôtres réunis autour de lui (... pas douze, nous les avons comptés et recomptés !), c’est Simon Boccanegra qui prend le rôle de Jésus-Christ, les cheveux en moins cependant pour le titulaire du soir… complètement dégarni ! Pourquoi pas, lorsqu’on écoute le message de paix de Simon « E vo gridando : pace ! E vo gridando : amor ! » Mais la sensation est tout de même que ce tableau, très beau esthétiquement au demeurant, est plaqué artificiellement sur l’opéra de Verdi. Plus classique, le fantôme de Maria passe au prologue et vient rejoindre plus tard Simon à sa mort. L’image finale est douce-amère : Gabriele Adorno, en nouveau doge, apparaît assis derrière le bureau de Simon comme au prologue… L’histoire peut alors recommencer.

Vocalement, ce n’est pas le Simon Boccanegra de Giovanni Meoni qui marque le plus. Celui-ci chante très correctement et avec élégance mais il lui manque un peu de charisme et d’ampleur. Les aigus, sous contrôle, paraissent par moments retenus, quelques notes graves sonnent discrètement et l’intonation se relâche légèrement en fin d’ouvrage. L’Amelia de la soprano Myrtò Papatanasiu dispose à l’évidence de moyens bien plus importants : graves bien exprimés et aigus puissants à l’autre extrémité, des nuances piano joliment émises, une bonne longueur de souffle. Mis à part des changement de registre assez marqués entre graves et aigus, le gros point faible reste sa diction de l’italien… à peu près incompréhensible ! La basse Jean Teitgen, en prise de rôle dans Fiesco, fait entendre son impressionnant creux dans le grave, accompagné d’une conduite soignée de la ligne vocale. Le ténor Vincenzo Costanzo (Gabriele Adorno) ne produit pas les mêmes bonheurs, timbre serré peu séduisant mais qui chante sans problème toutes ses notes, tandis que l’autre baryton Leon Kim (Paolo) possède un mordant appréciable et une vigoureuse projection vocale.

La direction musicale de Michael Schønwandt est une heureuse surprise. On le pensait plus spécialiste de Wagner que de Verdi mais il sait révéler ce soir les beautés de la partition, tout en maintenant la tension voulue dans les moments les plus dramatiques. Les passages lents sont joués en particulier avec sentiment, comme l’introduction de l’air d’Amelia « Come in quest'ora bruna » (acte I), mais d’autres séquences prennent une respiration plus ample, par exemple l’air du ténor « Sento avvampar nell'anima » (II). Les musiciens assurent une qualité sans faille (les solos des différents bois, l’impeccable cor qui introduit la scène de la mort de Simon), et ceci est également valable pour les choristes dynamiques, préparés par Noëlle Gény.

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