Madame Favart (Marion Lebègue), chœur de l’Opéra de Limoges.


L’Opéra-Comique fête joliment le bicentenaire d’Offenbach en programmant la première de sa Madame Favart (1878) le jour de sa naissance, le 20 juin. D’autant que la production est une réussite.

Le livret de Chivot et Duru (auteurs prolifiques, notamment des Chevaliers de la Table ronde d’Hervé, de L’Île de Tulipatan et – bientôt – de La Fille du tambour-major d’Offenbach) trousse son intrigue tournicotée à partir de personnages historiques du temps de Louis XV, l’auteur dramatique Charles-Simon Favart (qui a donné son nom à l’Opéra-Comique) et sa femme Justine, comédienne célèbre autant pour son talent que pour sa liaison tempétueuse avec le maréchal de Saxe. Poursuivi par la police du maréchal, leur couple croise celui de Suzanne et Hector de Boispréau, tous quatre tour à tour menacés par le marquis de Pontsablé, vieux beau par trop entreprenant, sous le regard dépassé du major Cotignac, père de Suzanne, en une série de mésaventures et de quiproquos dignes du naissant Feydeau. Offenbach pose sur ce livret en folie une musique foisonnante, inspirée ici par le vaudeville (fausse tyrolienne, chanson de garde), là par la délicatesse la plus touchante, même prise au second degré ou parodiant le siècle passé (la romance de la Vieille), sachant les finales explosifs et dansants comme les récitatifs travaillés.

Puisque tout repose sur des travestissements successifs (les Favart en serviteurs d’Hector puis en colporteurs tyroliens, Suzanne et Justine échangeant leurs rôles, Justine en fausse tante…), Anne Kessler, sociétaire de la Comédie-Française et en charge de la mise en scène, et son dramaturge Guy Zilberstein ont pris le parti de donner au vêtement (et, plus largement, au tissu) un rôle premier. L’idée désarçonne d’abord car elle complique l’appréhension spontanée des personnages lorsqu’on les découvre : l’auberge de Biscotin devenant un atelier de couture, ses clients de passage et ses chambres pour la nuit n’y ont qu’une existence fort peu définie, qui frôle la mise en abyme (Justine, habillée d’une blouse de couturière qu’elle délaisse au moment de son « entrée » en scène, ne fait-elle que rêver tout ce qui va suivre ?), joue parfois du métathéâtre avec poésie (la fausse neige saupoudrée à vue), mais s’en échappe aussi très librement. Le décor unique d’Andrew D. Edwards se travestit lui-même à coup d’idées à la fantaisie pointue, comme ces housses de machines à coudre dessinant soudain des tentes miniatures de campement militaire.

Sous la direction à la fois vive et tenue de Laurent Campellone, qui évite les fausses routes toujours possibles dans les courses-poursuites de la partition, l’Orchestre de Chambre de Paris sonne avec verve – plus que le Chœur de l’Opéra de Limoges, qui paraît un peu timide en ce soir de première. Sur le plateau, chacun s’amuse en prenant à bras-le-corps le théâtre fantasque de son personnage. Marion Lebègue semble avoir besoin de temps pour chauffer son médium, peut-être mis à mal par l’écriture très centrale du rôle de Justine Favart ; mais quel panache, quelle générosité vocale, et quel sens comique ! La Suzanne d’Anne-Catherine Gillet atteint, elle, à l’idéal de la distribution et du style, par l’homogénéité parfaite de ses voix parlée et chantée, son élocution exemplaire, son vibrato même, qui semble dessiné pour l’opéra-comique, et sa présence physique sachant le burlesque avec grand naturel. Cet équilibre de timbre entre parole et chant, si précieux dans ce répertoire, se retrouve chez le major Cotignac de Franck Leguérinel, le Biscotin de Lionel Peintre (dont le moment de délire chevalin vaut son pesant d’avoine) et le marquis de Pontsablé d’Éric Huchet. François Rougier est un Hector de Boispréau très honnête, voire impayable dans sa tyrolienne aux aigus alpins, quand Christian Helmer paraît moins fondu dans l’ensemble, son Favart parlant très « XXe siècle » tandis qu’il chante « grand opéra » – nonobstant des nuances aiguës joliment amenées, au risque de blanchir.

On sort de l’Opéra-Comique sourire aux lèvres, épaté aussi par cette ode au théâtre, aux artistes et… aux femmes que constitue l’ouvrage : car la comédienne Justine Favart « balance son maréchal » avec audace et esprit, et nous parle bien directement, sans que les filtres de l’Histoire (qu’elle soit de Louis XV ou de la Troisième République) ou ceux de l’humour n’amoindrissent son propos.

Chantal Cazaux

5 représentations encore jusqu’au 30 juin.

Hector de Boispréau (François Rougier), Suzanne (Anne-Catherine Gillet), Charles-Simon Favart (Christian Helmer) et Madame Favart (Marion Lebègue). Photos : Stefan Brion.