Avec cette production de Macbeth se clôt la trilogie Verdi de Michael Thalheimer initiée en 2012 avec La Force du destin et poursuive en 2016 avec Otello. Le metteur en scène y reste fidèle au dépouillement et au climat nocturne, modelé par un savant travail sur la lumière, qui caractérisaient ses productions précédentes, mais il substitue au plateau nu une imposante scénographie qui concrétise de façon métaphorique le destin du couple maudit. Le décor unique enferme les protagonistes sous le regard permanent de témoins (les sorcières, les courtisans, les domestiques, le peuple) dans une gigantesque boîte au fond d’une sorte de cuve aux parois glissantes, qui figure le gouffre dans lequel l’accumulation de leurs crimes les entraîne. Avec un sens aigu de la continuité, la mise en scène relie les tableaux les uns aux autres, laissant les époux couverts de sang après le meurtre de Duncan pour le grand finale du premier acte, où le cadavre de Banco se trouve sur le plateau dès l’ouverture de la scène du banquet, et donne ainsi à entendre que rien de leurs méfaits n’est ignoré de quiconque. L’extraordinaire Brindisi ou la Lady se contorsionne dans une sorte de pantomime dansée, couverte comme le chœur d’une masse de serpentins, semble vouloir conjurer sa culpabilité et exprime de façon grotesque son déni, portant les premiers signes de la folie qui va l’emporter. Seule la scène des apparitions, juste après l’entracte, paraît un peu détachée du mouvement dramatique global malgré la récupération, pour le sabbat des sorcières - perruque blanche et barbe noire -, des serpentins qui symbolisaient la fête carnavalesque du tableau précédent. Il y manque sans doute, pour qu’elle prenne tout son sens, quelques éléments de ballet puisqu’il s’agit de la version parisienne de 1865. Était-il utile, du reste, que la lumière vire soudainement au rouge dans le duo de la vengeance qui conclut le tableau, tant la production est déjà si clairement placée sous le signe du sang ? Elle s’achève sur l’affrontement à peine dissimulé entre MacDuff et Malcolm pour la couronne souillée de Macbeth, tandis que sur fond de chœur interrogeant « Dov'è l’usurpator ? » un enfant vient se couronner lui-même à l’avant-scène d’une couronne nettement plus brillante que la leur. Une conclusion, avouons-le, un peu attendue, voire légèrement téléphonée, mais qui ne gâte en rien la réussite globale d’un spectacle d’une grande cohérence, marqué par une direction d’acteurs au cordeau.

Marina Prudenskaya n’est pas le premier mezzo de l’histoire à aborder le rôle de Lady Macbeth et elle se confronte aux problèmes d’une tessiture de soprano dramatique d'agilité qui l’oblige à sacrifier un des deux registres. Si ses suraigus dardés et métalliques, parfois à la limite de la justesse, impressionnent par leur puissance, le bas de la voix paraît souvent engorgé et atone. Elle compense ces limites par une incarnation tout entière sur la puissance et la domination. Sa silhouette longiligne et ses longs cheveux blonds mis en valeur par sa robe de soirée en font une sorte de figure emblématique du mal. En kilt comme la plupart des hommes (Écosse et faiblesse obligent ?) Craig Colclough, remplaçant Thomas Johannes Mayer initialement prévu, joue à la perfection la pusillanimité d’un Macbeth agité de pulsions contradictoires, mais lui font défaut une certaine souplesse vocale et la subtilité du phrasé que pourrait lui donner, comme à sa partenaire, un italien plus idiomatique. Ces qualités, Tareq Nazim les possède au plus haut point ainsi que la noblesse et la profondeur de timbre qui font les grands Banco. Le ténor ouzbek Najmiddin Mavlyanov reste un MacDuff assez ordinaire mais tout de même plus convaincant que le Malcolm au chant désordonné de Michael J. Scott. Citons encore l’excellent baryton-basse Donald Thomson dans le quadruple rôle du Héraut, du Sicaire, de l'Apparition et du Médecin. À la tête d’un chœur remarquablement préparé et homogène et d’un orchestre de grande tenue, Paolo Carignani donne une lecture de grand format de cette partition de jeunesse et fait entendre à quel point le Verdi de la maturité y est déjà en germe. Sans révolutionner notre vision de l’opéra de Verdi, ce spectacle de haut niveau conclut sur un succès le mandat d’Aviel Cahn, dont la politique artistique créative et audacieuse a valu à l’Opéra des Flandres d’être nommé « meilleure compagnie d'opéra 2019 » aux International Opera Awards 2019 en avril dernier.

Alfred Caron

À lire : notre édition de Macbeth : L’Avant-Scène Opéra n° 249


Photos : Annemie Augustijns