Opéra
Butterfly d’adieux à Nancy

Butterfly d’adieux à Nancy

26 June 2019 | PAR Gilles Charlassier

Laurent Spielmann referme sa dernière saison à l’Opéra national de Lorraine avec un grand classique du répertoire, Madama Butterfly, réglé par Emmanuelle Bastet à la manière d’une épure poétique, et où l’incandescente Sunyoung Seo s’illustre dans le rôle-titre.

[rating=4]

Laurent Spielmann fait ses adieux sous le signe de la fidélité et du grand répertoire. Après un mandat de près de deux décennies à la tête de l’Opéra de Nancy, pour lequel il a obtenu le label « opéra national », jalonné de redécouvertes et de créations, c’est par un grand classique qu’il referme l’aventure artistique qu’il a proposée à la tête de l’institution lorraine. Même si, en commémoration exacte du centenaire de la présence maison sise place Stanislas, il a programmé l’ouvrage créé lors de l’inauguration, en 1919, Sigurd de Reyer, qui sera donné en concert en octobre prochain lors de deux soirées, sa dernière saison, placée sous le signe de ce même anniversaire, se referme avec un Puccini qui est un des plus célèbres opus du répertoire, Madama Butterfly. Il en a confié la mise en scène à Emmanuelle Bastet, qui avait signé ici plusieurs productions, de l’Étoile, de Chabrier, à Hansel et Gretel.

Imaginée par Tim Northam, la scénographie de bois clair strié immobilise une ondulation marine qui se pare de reflets sous les lumières de Bernd Pukrabek, mutant ainsi en une moire nocturne et étoilée hautement évocatrice. Quelques panneaux suffisent à suggérer l’intérieur où vit Cio-Cio-San, tandis que le relief de la vague sert aussi de piédestal pour les noces, autant que de promontoire de l’attente, avant la fatale désillusion. Dans une conception témoignant d’une belle économie de moyens, la mise en scène joue avec habileté de la polysémie des éléments de décor, pour faire vivre une épure agile et poétique. S’ils campent l’opposition des deux tropismes américains et nippons, les costumes dessinés par Véronique Seymat n’exagèrent pas une exactitude naturaliste qui trahirait la décantation inspirée du spectacle. Modulant des effets de distance et d’intimité, la direction d’acteurs n’élude pas l’intensité des émotions, et c’est dans les bras de Pinkerton que s’évanouissent les derniers spasmes de Butterfly, comblant sans doute l’intuition initiale de la partition.

Dans le rôle-titre, Sunyoung Seo affirme un engagement sans faille. La plénitude de sa technique sert une incarnation sensible aux inflexions psychologiques de l’amoureuse crédule et abandonnée, dans la lignée des intentions du compositeur. La rondeur de l’émission et de la ligne esquisse un portrait délicat de l’apprêt des sentiments de la jeune femme. La vérité de l’interprétation, qui ne sacrifie jamais l’intégrité des notes, ne laisse pas le public indifférent : l’applaudimètre en atteste. En Pinkerton, Edgaras Montvidas ne ménage pas la fébrilité de Pinkerton, dont la vaillance lumineuse du timbre respire parfois l’effort. Cornelia Oncioiu révèle toute l’onctuosité bienveillante et inquiète de Suzuki. La carrure presque paternelle et la maturité de Dario Solari sied idéalement à un consul Sharpless qui s’impatiente de l’inconscience de Pinkerton. Gregory Bonfatti résume un Goro mordant dans la médisance de l’entremetteur, quand Philippe-Nicolas Martin ne démérite aucunement en Yamadori. Nika Guliashvili fait éclater la colère de l’Oncle Bonze, et Julie Prola s’acquitte des répliques de Kate, l’épouse de Pinkerton. Mentionnons encore l’intervention de Gilen Goicoechea en commissaire impérial. Préparés sans faiblesse par Merion Powell, les choeurs fournissent les effectifs de la famille de Cio-Cio-San et de la cérémonie nuptiale. A la tête de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Modestas Pitrènas met en évidence la richesse formelle et harmonique sous-jacente au génie mélodique de Puccini, avec un enthousiasme qui empêche toute torpeur méridienne.

Gilles Charlassier

Madame Butterfly, Puccini, mise en scène : Emmanuelle Bastet, , jusqu’au 2 juillet 2019

©C2images-pour-l’Opéra-national-de-Lorraine

Félix Dufour-Laperrière : “Je pense beaucoup l’animation comme dialoguant avec les arts visuels”
Cristiana Morganti : Danser avec Pina
Gilles Charlassier

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration