Pour le dernier spectacle de ses dix ans à la tête de l’Opéra de Flandre avant de reprendre les rênes du Grand Théâtre de Genève, Aviel Cahn avait programmé le Macbeth de Verdi, œuvre trop rarement proposée sur nos scènes et qui regorge d’atouts : livret de qualité, action prenante et claire (Shakespeare y est pour quelque chose, et le sens inné du théâtre de Verdi aussi), rôles principaux faits pour de vrais chanteurs-acteurs, chœurs dramatiques et virtuoses, orchestre qui s’émancipe souvent avec succès de son simple rôle d’accompagnement.

Pour cette production, Henrik Ahr a conçu un décor unique. Occupant toute la largeur de la scène, on découvre une espèce de coquille anthracite qui donne l’impression de voir en coupe – ouvert face à la salle – un de ces skateparks destinés aux enthousiastes de la planche à roulettes. Cette cuvette remonte en pente douce vers le mur arrière et les rebords sont assez larges pour permettre aux chanteurs d’y prendre place selon les besoins de l’action.

Signée Michael Thalheimer, la mise en scène va à l’essentiel, refusant de façon générale l’anecdotique et mettant en évidence le drame d’un Macbeth à la fois faible et ambitieux, manipulé par une Lady Macbeth dont la soif de pouvoir ne relève ici pas que du calcul politique ou de l’ambition, mais tout autant d’une sorte de folie que tout amène vers le tragique dénouement. Cette vision d’une noirceur assumée est parfois un peu trop lourdement soulignée par le sang dont le couple-titre est sans cesse maculé et dont sera plus tard enduit un Banquo ressuscité, véritable figure christique. On peut aussi critiquer l’abus de fumigènes (en particulier à l’acte III), mais c’est finalement de peu d’importance par rapport à la rigueur d’une véritable vision dramatique, portée aussi bien par la fosse que le plateau.

À la tête d’un orchestre en pleine forme, le chef Paolo Carignani offre une magnifique lecture de la partition, dont il fait parfaitement ressortir l’invention, les couleurs orchestrales, le lyrisme comme le sens du drame. Les chœurs de la maison (parfaitement préparés par Jan Schweiger) ne sont pas pour rien dans la réussite du spectacle. Si leurs costumes intriguent parfois (perruques blondes des femmes ou, à l’acte II, cagoules et torses nus d’un chœur d’hommes qu’on croirait échappé d’un club sado-maso), leur prestation est remarquable tant sur le plan du chant que sur celui de l’engagement dramatique.

Et les mêmes éloges peuvent être adressés aux protagonistes, à commencer par l’incandescente et magnétique Lady Macbeth de Marina Prudenskaya. Si la voix n’est pas particulièrement colorée, la conduite en est remarquablement sûre, et c’est peu dire que la mezzo russe brûle les planches. Dès sa première intervention – doublée comme à d’autres moments par une danseuse ensanglantée – il est clair que cette Lady Macbeth, agitée de lentes convulsions, ne tardera pas à basculer dans la folie.

Très belle prestation également du baryton Craig Colclough qui fait entendre un Macbeth à la fois ambitieux et velléitaire, torturé et poltron, jouet des événements davantage qu’acteur de son destin, et dont on relèvera la ligne de chant soignée et la diction mordante.

Le chanteur ouzbek Najmiddin Mavlyanov met son beau ténor solaire au service d’une incarnation à la fois sensible et sérieuse de Macduff. Chia-Fen Wu fait entendre son soprano clair dans le petit rôle de la Dame de compagnie de Lady Macbeth et Michael J. Scott est un très convaincant Malcolm.

****1