Jakob Lenz de Wolfgang Rihm à Aix-en-Provence : voyage au bout de la folie

- Publié le 8 juillet 2019 à 12:27
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Nouveau triomphe pour la production d'Andrea Breth, déjà saluée à Stuttgart, Bruxelles et Berlin.

La folie à l’opéra, c’est une vielle histoire. Mais un abîme sépare les Roland furieux ou les Lucie de Lammermoor du pauvre Jakob Lenz, éphémère figure du Sturm und Drang, un temps ami de Goethe, ravagé par la schizophrénie. Quand il le recueillit à Strasbourg, le pasteur Oberlin tint un journal de sa folie, dont Georg Büchner fit une nouvelle – Lenz, d’ailleurs, n’est pas si loin de Woyzeck. En 1979, il devenait à Hambourg le héros – l’anti-héros, plutôt – du deuxième opéra de chambre de Wolfgang Rihm : à moins de trente ans, l’Allemand signait l’un des chefs-d’œuvre de l’opéra du XXe siècle, par la puissance de son inspiration et de son écriture, où passent parfois, sans plagiat ni « retour », des ombres du passé, de Bach à Berg.

Quelques mois après l’Athénée, Aix le met à l’affiche, important une production présentée à Stuttgart en 2014, reprise à la Monnaie de Bruxelles, où elle avait mérité les éloges de l’ami Benoît Fauchet, à Berlin ensuite. Le miracle se renouvelle au Grand Théâtre de Provence, où le fascinant spectacle d’Andrea Breth prend toujours à la gorge, avec d’abord ce décor gris, où coule l’eau des noyades ratées, bord de lac parsemé de rochers, intérieur de la maison du pasteur ou chambre d’asile, espace à la fois réel et mental où s’enferme le corps à demi-nu de Lenz – qui tient parfois du Christ comme sa folie tient du chemin de croix. Magnifique de précision et de tension, la direction d’acteur plonge au cœur de l’aliénation, distille les étapes de l’effondrement de la psyché, entre la recherche désespérée de l’inaccessible bien-aimée, cette Friederike dont Goethe s’était épris avant lui, et la fin sur un lit de sangles, où Lenz, maculé de fange, corseté par une camisole de force, reste seul, confronté à l’absolu de la déréliction. Insoutenable, pour lui et pour nous.

La vision trouve son parfait écho dans la direction superbe d’Ingo Metzmacher, qui exalte les splendeurs des sonorités à la fois subtiles et agressives que Rihm, en maître de l’orchestre, tire d’un ensemble réduit à quelques musiciens. Corps et âme crucifiés, Georg Nigl reste prodigieux cinq ans après Stuttgart, entre cri et chuchotement, très à l’aise dans une partie jouant sur tous les registres de la voix. Parfaits sont Wolfgang Bankl en Pasteur bienveillant et impuissant, John Daszak en Kaufmann, plus brutal mais pas moins impuissant – un ténor de caractère qui rappelle le Docteur de Wozzeck. C’est la plus forte production du festival… et elle vient d’ailleurs…

Jakob Lenz de Wolfgang Rihm. Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, le 5 juillet.

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