Giuliano Carella dirige un émouvant Simon Boccanegra à l'Israeli Opera

Xl_simon_bukanegra-zwecker__145_ © Yossi Zwecker

Voilà trois ans que nous n’étions pas revenus à l’Israeli Opera, l’unique structure lyrique digne de son nom en Israël (c’était alors pour une Norma intensément incarnée par la soprano italienne Maria Pia Piscitelli), et c’est pour entendre notre opéra préféré de Giuseppe Verdi que nous y revenons : Simon Boccanegra. Comme souvent à Tel Aviv, c’est une double distribution qui est mise à l’affiche, et nous nous attarderons surtout sur les meilleurs éléments de chacune des deux, le premier cast s’avérant un cran au-dessus du second, hors le rôle-titre peut-être…

Non que le baryton roumain Ionut Pascu ne chante pas bien (nous l’avions notamment applaudi à deux mains dans le rôle-titre de Nabucco à Liège en 2016), mais le timbre de son confère italien Vittorio Vitelli est tellement pétri d’humanité qu’il s’impose d’emblée comme un Simon de rêve, tandis que - scéniquement parlant - il fait preuve de prestance, d'élégance, ainsi que d'une vraie noblesse. Superbe d'autorité, son monologue pendant la scène du Conseil, et plus particulièrement sa manière de chanter la phrase « E vo gridando : amor ! », a été le clou de la soirée. Si la voix de la soprano russo-israélienne Alla Vasilevitsky apparaît comme encore un peu « verte » en Amelia, celle de la roumaine Aurelia Florian est tout simplement majestueuse, mais bien trop sombre - avec ses médiums corsés et ses graves charnus - pour rendre pleinement justice au côté évanescent et virginal de son personnage. Par contre, elle serait idéale en Leonora de La Forza del destino ou du Trouvère, et l’on rêve de l’entendre dans un de ces deux ouvrages. En Gabriele Adorno, le ténor ukrainien Mykhailo Malafi s’avère quelque peu handicapé par un timbre nasal, et on lui préfère celui - fier et sonore - du chanteur mexicain Hector Sandoval, d’autant qu’il offre également une articulation claire et un phrasé élégant. La voix de Giacomo Prestia accuse désormais le poids des ans, et c’est à l’avantage de la jeune basse coréenne In Sung Sim (souvent entendue à l’Opéra de Monte-Carlo, comme dans Otello en avril dernier ou Luisa Miller en décembre 2018) : les moyens sont déjà ceux que requièrent Fiesco, tant en terme de profondeur que de rondeur, et les sombres couleurs de son timbre font forte impression sur l’auditoire. L’inusable Vladimir Braun (Paolo) est en meilleure forme vocale qu’il y a trois ans dans la Norma précitée, sans damer pour autant le pion à son collègue italien Damiano Salerno, d’un inquiétant relief physique et vocal.

Importée du Welsh National Opera où elle a vu le jour il y a plus de vingt ans, la production signée par David Pountney ne propose ni reconstitution passéiste ni relecture risquée, mais un travail rigoureux, à la fois sobre, épuré et efficace. En s'attachant principalement à sa dimension politique, il n'oublie pas pour autant ce qui, dans cet opéra (présenté ici dans sa version de 1881), touche aux sentiments humains. La force centrale du spectacle repose ainsi sur le décor de Ralph Koltaï : deux murs latéraux en miroir infiniment mobiles qui servent à définir les différents lieux de l’action, mais surtout à symboliser les deux camps opposés (plébéiens et patriciens) dans la Gênes du quatorzième siècle : si le premier mur évoque la façade translucide d’un palais, le deuxième arbore une couche de terre couleur rouille et rugueuse, déchiré de haut en bas par une fissure béante. La dernière image les montre se rejoignant et se refermant sur Simon, symbolisant son sépulcre éternel… Grâce à ce processus général de simplification, le metteur en scène britannique rend l'ouvrage de Verdi intelligible à tous, avec une force émotionnelle rare...

Mais le plus grand bonheur de la soirée viendra cependant de l’enthousiasmante baguette du chef italien Giuliano Carella, grâce à l'extraordinaire équilibre qu’il réalise entre la solennité du récit musical et les veines dramatiques qui l'irriguent. Verdi lui-même voyait dans ce contraste la couleur de son opéra, cette tonalité sombre qui enveloppe la solitude des puissants, par opposition à la violence convulsive des conflits politiques, à la volonté de faire la paix et à la mélancolie de l'amour paternel. Sous sa direction, l’Orchestre Symphonique d’Israël est, de bout en bout, admirable de cohésion, de transparence et d'incisivité, le Chœur de l’Israeli Opera se montrant lui aussi au-delà de tout éloge. 

Emmanuel Andrieu

Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi à l’Israeli Opera, jusqu’au 19 juillet 2019

Crédit photographique © Yossi Zwecker

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