A Munich, Krzysztof Warlikowski signe une Salomé à la fois trouble et épurée

- Publié le 14 juillet 2019 à 18:08
Home
Ce n'est sans doute pas une des plus fortes productions du metteur en scène polonais, mais elle est passionnante, trouvant son parfait écho dans la direction de Kirill Petrenko, pas moins rebelle à la viennoiserie.

Sur la musique du premier des Kindertotenlieder de Mahler, un groupe de juifs, réuni dans une bibliothèque talmudique, assiste à un spectacle de cabaret, plutôt antisémite au demeurant, qu’interrompent des coups violemment frappés à la porte… Les nazis ? Krzysztof Warlikowski ne les montrera pas. Mais c’est bel et bien une communauté assiégée, menacée, qui va regarder Salomé avant un suicide collectif – on mesure alors ce que le lied signifiait. Et lui-même évoque le ghetto de Varsovie, où la vie culturelle continuait malgré tout…

La petite princesse de Judée ne danse-t-elle pas avec la Mort, en robe de mariée ? Jeu de rôles ou réalité, nous ne le saurons pas : le Polonais cultive l’ambiguïté, préfère suggérer plutôt qu’asséner, ne montrant pas davantage la tête du Prophète qu’on apporte dans un carton. Une Fin de partie, en tout cas, où il rappelle des souvenirs cinématographiques, dont Monsieur Klein ou Portier de nuit, où il questionne les douloureuses ambiguïtés de l’Histoire – et les nôtres.

Pour autant, Salomé est bien là, sortie des années 1930, figure du désir absolu et mortifère, animal aussi, avec ce bestiaire venu des anciennes synagogues sur écran vidéo au moment de la Danse. Ce n’est sans doute pas une des productions les plus fortes de Warlikowski, mais elle est passionnante, témoignant, après la Lady de Chostakovitch à Bastille, d’une certaine sobriété, d’une tendance à épurer la profusion. Le décor pompéien de la bibliothèque est magnifique, ouvert, quand Jokanaan paraît, sur une piscine rappelant son Roi Roger.

Ce refus du pittoresque orientalisant, avec une Danse sans voiles, trouve son parfait écho dans la direction de Kirill Petrenko, pas moins rebelle à la viennoiserie. La transparence mendelssohnienne des textures, d’un raffinement inouï, la subtilité des couleurs, la conduite implacable du drame font de l’orchestre le protagoniste d’une Salomé à la distribution sans éclat. Warlikowski a l’art de travailler au corps les héroïnes d’opéra : cela sauve la princesse de Marlis Petersen, au médium et au grave trop légers, ne pouvant jouer d’une voix aux ressources limitées pour incarner la complexité de la sulfureuse adolescente – que le metteur en scène, il est vrai, veut plus expérimentée qu’innocente. Hérode, visiblement, l’intéresse moins, abandonné à un Wolfgang Ablinger-Sperrhacke qu’on attendait plus engagé. Fidèle au poste, Wolfgang Koch campe toujours le prophète inébranlable – ou presque – d’une voix que les ans rident à peine, plus attirant pour Salomé que le Narraboth curieusement pâlichon de Pavol Breslik.

Salomé de Strauss. Munich, Nationaltheater, le 10 juillet.

Diapason