Chroniques

par bertrand bolognesi

Turandot
opéra de Giacomo Puccini

Münchner Opernfestspiele / Nationatheater, Munich
- 16 juillet 2019
À Munich, reprise d'une Turandot mise en scène par Carlus Padrissa
© wilfried hösl

En décembre 2011, la Bayerische Staatsoper présentait une nouvelle Turandot. Cette production signée Carlus Padrissa, du collectif catalan La Fura dels Baus, fut plusieurs fois reprise. Nous la découvrons ce soir, dans le cadre du Münchner Opernfestspiele, dotée d’une distribution de très haut niveau.

Au las empereur Altoum, Ulrich Reß prête un chant délicat au souffle long, en parfaite adéquation avec la fonction du personnage dans le conte, et avec l’efficacité qu’on lui connaît [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera, Andrea Chenier et Tannhäuser]. Le trio de ministres bénéficie d’un équilibre de formats comme on en rencontre rarement. La clarté du Pong de Galeano Salas [lire nos chroniques de Semiramide et Der Diktator] se conjugue à l’intensité du Pang de Kevin Conners [lire nos chroniques de Tosca, Boris Godounov, Die Soldaten et de Parsifal] et au baryton infiniment suave de Mattia Olivieri [lire notre chronique de La bohème] ; la musicalité de ce dernier fait son effet. Sonore et confortablement phrasée, la basse Bálint Szabó offre au Mandarin l’autorité nécessaire [lire nos chroniques de La dame de pique, La donna del lago, La clemenza di Tito, Les vêpres siciliennes et Le château de Barbe-Bleue]. Grand bonheur également de retrouver l’immense Alexander Tsymbalyuk dans la partie de Timur, le vieux roi exilé : la voix se déploie densément, jusqu’à donner le frisson [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk et Boris Godounov]. On découvre le soprano enveloppant de Golda Schultz en Liù qu’elle porte d’un chant simple, évident, au service de l’émotion. Enfin, au chapitre des gosiers qui, à eux seuls, justifieraient qu’on fît le déplacement, il faut compter sur l’aigu terrible et le médium savoureusement velouté de Nina Stemme, Turandot magistrale.

Ne manque-t-il pas un prince ?... en effet, si la voix de Stefano La Colla est grande, richement colorée, et si l’artiste ne se ménage pas dans des élans flamboyants, la ligne de chant est si mal définie qu’elle met souvent en péril l’intonation. Il semble que le ténor ne sache que faire des grands moyens vocaux dont il dispose et qu’il faudrait canaliser avec plus de rigueur. C’est bien dommage, car avec les bons ingrédients son Calaf ne satisfait pas.

À l’instar de Karl V de Křenek applaudi ce dimanche en ce même National Theater de Munich [lire notre chronique de l’avant-veille], la mise en scène de Padrissa convoque un aréopage diffus de procédés dont on remarque, dans cette promiscuité des deux productions, l’immanquable évolution des atours techniques. Le travail vidéastique de Franc Aleu tient lieu de paysage au décor machinique de Roland Olbeter. Entre la foule, les défilés de bourreaux, l’armada de patineuses artistiques et une équipe de hockey, sans oublier tout un peuple d’acrobates bircouettant dans les cieux, le plateau subit pléthore d’encombrements. La Fura dels Baus invente une Chine qui rassemble plusieurs éléments asiatiques fantasmés, comme en témoignent les vêtures conçues par Chu Uroz, les images propulsant la représentation dans un univers où se marient cinéma de science-fiction, épopée kung-fu, manga, supplice oriental et consumérisme urbain. Sans passer en revue la florissante génération d’idées en tout genre de cette production très spectaculaire, l’on en apprécie quelques moments, comme la lueur aquatique pour la nostalgie des ministres (Acte II) et l’infernale mer de tête coupées, quand d’autres épuisent la patience – le fait de ne plus pouvoir regarder la scène lorsqu’un projecteur aveugle violemment le public ne favorise guère une approche clémente, il le faut avouer (lumière d’Urs Schönebaum).

Ne manquons pas de saluer l’excellente prestation des voix des Chor, Kinderchor und Extrachor der Bayerischen Staatsoper, menée à bien par Sören Eckhoff (et Stellario Fagone pour les enfants), alternant des interventions d’une musicalité inouïe à d’autres moments idéalement sauvages. Sans omettre la percussivité de certains passages, Thomas Søndergård mène une interprétation fort respectueuse des alliages timbriques, faisant même entendre la clarinette lors de l’énoncé de la deuxième énigme – une virevolte vertigineuse qui passe presque toujours à la trappe. Loin d’appuyer sa lecture sur quelque lourdeur, le chef danois, à la tête du Bayerisches Staatsorchester, l’instille adroitement par le nerf. Le résultat est plus que probant ! Le 25 avril 1926, à Milan, juste après le dernier air de Liù, Arturo Toscanini posait sa baguette et, tourné vers le public, affirmait qu’il en resterait là puisque Puccini était mort sans finir. C’était faire l’impasse sur la commande de l’éditeur à Franco Alfano. Aujourd’hui, ni la première ni la seconde des versions Alfano, encore moins celle qu’écrivit Luciano Berio [lire nos chroniques des productions de Salzbourg et de Toulon], retentiront ici : les maîtres d’œuvres du spectacle ont décidé eux-aussi de s’en tenir à ce que tracé par la main du compositeur.

BB