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Fervaal de Vincent d’Indy au Festival Radio France Occitanie Montpellier – Les dilemmes d’un wagnérien français – Compte-rendu

Fervaal enfin ! Dix-sept chanteurs (dont le premier pour un rôle d’une difficulté terrifiante, d’autres dans des emplois de quelques mesures tout juste sur près de quatre heures de musique), un chœur et un orchestre énormes : en considérant les forces réunies sur la scène de l’Opéra Berlioz, on comprend mieux que l’ouvrage soit demeuré absent des programmations depuis une exécution à la Radio en 1962 (dans une version plus que largement tronquée). Cinquante-sept ans plus tard, et neuf ans après la résurrection de L’Etranger (1), la radio de service public met à nouveau Vincent d’Indy à l’honneur, par le biais de son festival montpelliérain.
Michael Schønwandt © Luc Jennepin

On ne reviendra pas sur les circonstances de la création de Fervaal, déjà évoquées (2). Rappelons seulement que Vincent d’Indy avait vingt-sept ans lorsqu’il esquissa le livret de son opéra, quarante-six lorsque celui-ci fut créé, le 12 mars 1897 à Bruxelles – longue gestation ... Entre ces deux moments, comme il avait fait le voyage à Bayreuth en 1876 pour la toute première Tétralogie, il se rendit à Munich en 1880 pour Tristan, avec Chabrier à ses côtés – qui lâcha un sanglot célèbre sur les premières mesures du prélude –, puis retrouva Bayreuth en 1882 pour Parsifal. De ce dernier il sortit « absolument aplati » par le génie d’un maître vénéré – qu’il eut de surcroît l’heur de rencontrer par l’entremise de Liszt.

Autant dire que l’emprise du démiurge de Bayreuth aura été particulièrement forte sur le Français. Impossible, s’agissant de Fervaal, de ne pas faire le rapprochement entre le rôle-titre et Siegfried, entre Guilhen et Kundry, entre le druide Arfagard et Gurnemanz, mais aussi Kurvenal. Que d’influences, de contours mélodiques wagnériens dans Fervaal dira-t-on. Certes, mais ne percevoir l’Action musicale en trois actes de D’Indy qu’à travers ce prisme conduirait à perdre de vue bien des aspects d’une partition qui n’en demeure pas moins profondément française et constitue un étape, imparfaite certes mais passionnante à découvrir, de notre histoire musicale.

Fervaal ou les dilemmes d’un wagnérien français ... Animé d’un puissant sentiment national en des temps où les séquelles de la défaite de Sedan se font ô combien ! sentir, le compositeur se trouve dans la difficile situation d’assumer son admiration pour l’auteur de Parsifal tout en restant – autant que possible – fidèle à la devise Ars gallica que proclame fièrement la Société Nationale de Musique (fondée en 1871 et dont D’Indy prendra la présidence en 1890). Premier dilemme, auquel s’ajoute celui d’un catholique fervent ... qui a eu à cœur d’apporter une conclusion chrétienne au livret qu’il tire lui-même du païen Axel du Suédois Esaias Tegnér.
 

Gaëlle Arquez (Guilhen) © Luc Jennepin

Au bout du compte, Fervaal fait entendre une musique, sous influence certes, mais toujours rattachée à la tradition française, par le traitement orchestral d’abord. La leçon de Berlioz et de son Grand Traité a été méditée ;  Dukas l’avait compris soulignant que l’orchestre de D’Indy « laisse à chaque instrument son caractère individuel selon la méthode de Berlioz et ne tend pas à se fondre en un timbre caractéristique dominant ». Et Dumesnil d’ajouter quelques années plus tard que le compositeur sait « éclaircir son encre même dans les pages les plus chargées de symboles ». Le travail sur Fervaal aura d’ailleurs incontestablement contribué à la maturation de son art dans le domaine symphonique : après la « Cévenole », de 1886, Istar, partition magnifique, remporte un beau succès en 1896 alors que D’Indy met la dernière main à son opéra.
 

Jean-Sébastien Bou (Arfagard) © Luc Jennepin

L’un des grands atouts du Fervaal présenté à Montpellier (et retransmis en direct sur les ondes des France Musique) (3) est de disposer d’un merveilleux chef lyrique – et merveilleux chef tout court ! –  parfaitement conscient de la nature de l’ouvrage. A la tête de son Orchestre national Montpellier Occitanie (augmenté de nombre de « supplémentaires »), Michael Schønwandt restitue la vivacité de ses timbres, sa couleur particulière – une forme de brillance, awagnérienne au possible –, tout comme il soigne les équilibres entre les groupes instrumentaux. Résultat admirable, tout à la fois ardent et subtil dans une partition très imprégnée du spectacle et des couleurs de la nature (que les disascalies ne manquent d’ailleurs pas de suggérer avec une grande précision).

Effectif immense que celui requis pour Fervaal, mais l’écriture n’en demeure pas moins très attentive aux voix, à l’intelligibilité du texte. La tâche n’en est pour autant aisée s’agissant du rôle principal, auquel Michael Spyres (photo) a accepté de se confronter. « Pas de doublure possible pour cet emploi, confie Jean-Pierre Rousseau, directeur du Festival, il faut se contenter d’une assurance annulation et espérer qu’aucun imprévu ne survienne ... ». Cela a fort heureusement été le cas et le ténor américain a relevé le défi jusqu’au terme de la partition avec l’endurance physique et l’héroïsme vocal requis, mais aussi une intelligence musicale et une formidable qualité de diction, comme venue d’un autre temps.
En Guilhen, la belle Sarrasine « fille d’un émir vaillant », Gaëlle Arquez, sensuelle et totalement investie, offre une incarnation non moins convaincante. Sa beauté de ligne, sa noblesse dans la prosodie n’ont d’égal que la crédibilité dramatique qu’elle apporte au personnage. Une qualité partagée avec un Jean-Sébastien Bou très engagé, qui – au prix de quelques prises de risques – campe un Arfagard d’une brûlante humanité.
 

Jean-Pierre Rousseau et Michael Spyres : mission accomplie !  © Luc Jennepin

A côté de ces trois rôles principaux, on remarque l’apparition, brève mais pleine de sensibilité, d’Elisabeth Jansson en déesse Kaito – sorte d’Erda de Fervaal – au début de l’Acte II. N’omettons pas enfin de saluer, parmi les petits rôles, les interventions de Rémy Mathieu (Ferkemnat/Moussah), François Rougier (2ème Paysan, Le Berger, le Barde), Nicolas Legoux (Grympuig) et Jérôme Boutillier (1er Paysan, Gwellkingubar), ni la belle prestation du Chœur de la Radio Lettone et du Chœur Opéra National de Montpellier Occitanie. Respectivement préparés par Sigvards Klava et Noëlle Gény, ils apportent beaucoup au relief et au souffle dramatique du résultat final. Une résurrection passionnante et largement aboutie.

Alain Cochard

  1. www.concertclassic.com/article/compte-rendu-letranger-retrouve-festival-de-radio-france-et-de-montpellier
  2. www.concertclassic.com/article/fervaal-de-vincent-dindy-au-festival-radio-france-occitanie-montpellier-le-retour-du
  3. Disponible à la réécoute sur : www.francemusique.fr/emissions/le-concert-du-soir/le-concert-du-soir-du-mercredi-24-juillet-2019-74420
D’Indy : Fervaal (version de concert) – Montpellier, Le Corum/Opéra Berlioz, 24 juillet 2019 Photo © Luc Jennepin
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