Festival de Salzbourg : Peter Sellars et Teodor Currentzis adaptent Idomeneo de Mozart à leur bouillant théâtre.

- Publié le 4 août 2019 à 13:37
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Même compositeur, même lieu, même chef, même metteur en scène. Deux ans après leur Clémence de Titus, Peter Sellars et Teodor Currentzis se retrouvent au Manège des rochers pour l'autre chef-d'œuvre seria de l'enfant du pays.

On prend les mêmes et on recommence ? Ilia aujourd’hui, comme Sesto hier, paraît en réfugiée d’une de nos guerres modernes. Adieu la fresque antique, bienvenue sur CNN. Mais Sellars, contrairement à ce qu’il fit pour La Clémence, n’insiste pas dans la voie de la relecture politique, préférant se concentrer sur le drame intime. Affects et antagonismes se manifestent avec une évidente clarté, exacerbés par un art du geste, du regard, de l’étreinte aussi, qui s’apparente souvent à une chorégraphie, tant il épouse les mouvements de la musique. Il y a, comme souvent chez le turbulent metteur en scène, une forme de ritualisation, à laquelle participent encore la performance physique du chœur et l’étrangeté fabuleuse du décor conçu par George Tsypin : méduses, amphores ou totems de verre transparent, qui captent la lumière et gagnent peu à peu les hauteurs où, par on ne sait quel procédé magique, surgissent pendant la tempête du II des nuages plus vrais que nature.

Petits arrangements avec Mozart

Exit l’air et le chœur de liesse finale : le dernier récitatif d’un Idomeneo résigné est enchaîné au ballet – là, un couple de danseurs échappe à la stase par de parcimonieuses attitudes qui puisent dans la tradition des îles Samoa, dont est originaire le chorégraphe Lemi Ponifasio. Cet ultime aménagement de l’œuvre ne sera pas le seul. Quelques récitatifs passent à la trappe, le solo pour basse emprunté à la musique de scène de Thamos (que David Steffens chante avec un effroi sublime) introduit l’acte III. Et puisque le « Non temer amato bene », composé pour la reprise de 1786, engendra le célébrissime air de concert avec piano K 505, c’est de celui-ci que se voit gratifié Idamante à la fin – sauf que nous sommes au théâtre et non au concert… quand on n’a ni Berganza ni Los Angeles sous la main, ne serait-il pas prudent de renoncer à de tels additifs ?

Electre ivre et tendre

Car la distribution n’est pas tout à fait au niveau de ce qu’on est en droit d’attendre à Salzbourg. Dans le rôle-titre, Russell Thomas se distingue toujours par un engagement dramatique aussi corsé que son fort ténor, sans occulter une tension de l’aigu et de la vocalise, fatale dans les pyrotechnies de « Fuor del mar » – version simplifiée pourtant. Timbre idéalement androgyne, registres pas idéalement unis, Paula Murrihy fait un Idamante sans grand éclat en dépit, là encore, de louables intentions expressives. Si elle a le grave un peu faible, Nicole Chevalier se prévaut d’une virtuosité à toute épreuve ; surtout, cette Elettra phrase avec un telle tendresse son « Idol mio », se jette avec une telle ivresse dans la scène de folie géniale réglée par Sellars, que l’on succombe à la puissance de ses névroses. Le petit volume de son soprano, enfin, n’empêche guère Ying Fang de camper une adorable Ilia, qui berce ses « Zeffiretti » d’infinies délicatesses.

Les bourrasques de l’épopée

Surprise : Teodor Currentzis n’a pas amené son orchestre, musicAeterna, c’est le Freiburger Barockorchester qui officie. Pas sûr qu’on ait perdu au change, tant la sonorité est d’une plénitude aussi épanouie qu’est diverse la palette des coloris, épicée par la présence d’un intrépide pianoforte. Comme à son habitude, le geste hyperactif pousse les musiciens – qui jouent debout, c’est peut-être un détail pour vous mais pour eux ça veut dire beaucoup – dans leurs retranchements. Surtout, à quelques bizarreries près, le chef s’est débarrassé des maniérismes qui nous ont tant hérissé dans ses précédents Mozart, retrouvant une spontanéité de l’articulation, un naturel de la respiration, qui font passer sur l’opéra les saines bourrasques de l’épopée. Et le chœur, qui lui est bien celui de musicAeterna, se couvre de gloire, uni dans sa somptueuse cohésion.

Idomeneo de Mozart. Salzburg, Felsenreitschule, le 2 août.

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