L’opéra sur la scène du lac de Bregenz, c’est d’abord et surtout un grand spectacle où la scénographie tient une place centrale et doit permettre au metteur en scène de donner vie et sens à l’œuvre. La nouvelle production de Rigoletto n’échappe pas à cette règle. Philipp Stölzl en a transposé l’action dans le monde du cirque, une option qui n’a rien de vraiment inédit, et qui fait logiquement du rôle-titre un clown, de Gilda une trapéziste, du Duc un dompteur, de Monterone un prestidigitateur, de Sparafucile un lanceur de couteaux et ainsi de suite jusqu’au chœur qui forme la troupe de ce grand cirque. Son décor consiste en une plate-forme circulaire dont émerge une tête de clown enfant et ses deux mains, l’une articulée jouant un rôle dans l’apparition et la disparition des personnages, l’autre tenant un ballon.  Cette tête animée participe par ses mouvements à l’action et la contemple comme une sorte de témoin sans qu’il soit tout à fait possible de savoir ce qu’elle représente, mais sa physionomie rappelle singulièrement Buffo (le personnage inventé par le psychologue Howard Buten).

Candide ou inquiétante selon les moments, tandis que s’avance la fin tragique elle va s’évider jusqu’à évoquer une tête de mort. Pour animer le plateau, le metteur en scène a eu recours à une troupe d’authentiques acrobates - le Wired Aerial Theater - qui viennent régulièrement doubler les artistes dans les passages de voltige les plus risqués. Si cette vision produit quelques images d’une grande poésie comme celle où Gilda s’élève dans une montgolfière à quinze ou vingt mètres au dessus des eaux pendant son aérien « Caro nome », il faut bien avouer que le recours permanent à la figuration pendant des scènes où elle n’est pas vraiment nécessaire (comme ces sirènes suspendues qui s’agitent de façon ridicule pendant le second air du Duc), laisse souvent une impression de remplissage, tandis que certains effets spéciaux comme cette pluie pendant la tempête du quatrième acte paraissent un peu gratuits. Sur le plan musical, la sonorisation laisse souvent une impression de playback, surtout concernant l’orchestre, invisible et sur lequel les voix semblent plutôt se poser que s’intégrer dans sa texture. On retiendra de la distribution la Gilda de Mélissa Petit dont la voix de jeune lyrique assez centrale n’empêche pas une maîtrise parfaite de la coloratura avec des contre-notes d’une totale pureté. Vladimir Stoyanov ne confère qu’un relief limité à Rigoletto, faute d’une voix un peu plus large. Empêtré dans son costume qu’il est censé arracher pour exprimer sa fureur, le baryton rate hélas l’attaque de « Cortigiani » qui y perd la moitié de son impact. Le Duc de Stephen Costello possède quant à lui un beau timbre et une vaillance incontestable mais on aimerait parfois un peu plus de légèreté dans l’émission et de variété dans l’accent. Excellents le Sparafucile de Goderdzi Janelidze et Rinat Shaham dans le double rôle de Giovanna et de Maddalena. L’œuvre est donnée sans interruption mais souffrirait quelques minutes de respiration entre les actes. La direction très tendue de Daniele Squeo ne souffre aucun temps mort et participe à ce sentiment d’urgence que donne un spectacle époustouflant sur le plan de la performance technique mais assez limité en termes d’impact émotionnel. 

Alfred Caron

À lire : notre édition de Rigoletto : L’Avant-Scène Opéra n° 273


Photos : Bregenzer Festspiele / Karl Forster