Au Festival de Salzbourg, le grain de folie d’un Orphée aux enfers décadent

- Publié le 18 août 2019 à 11:31
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Au spectacle jubilatoire de Barrie Kosky, répond la direction musicale un peu trop sage d'Enrique Mazzola, et une distribution manquant d'éléments francophones.

La nouvelle de l’éclatante santé de notre école de chant n’est pas parvenue jusqu’à Salzbourg. Après une Médée de Cherubini chantée en volapük, cet Orphée aux enfers cosmopolite est aussi peu aimable avec la langue de Molière. Un seul de nos talents sur scène, Lea Desandre, cantonnée aux utilités (Vénus).

Malgré une voix amincie par les ans, L’Opinion publique de la très francophile Anne Sofie von Otter donne certes le change, avec un chic inaltéré dont profite la Barcarolle (mélodie avec piano sur des vers de Théophile Gautier, donnée en lever de rideau à l’acte II). Mais pour l’union du mot et de la note, c’est à Marcel Beekman que revient la palme, Pluton parfaitement idiomatique, voguant d’un pas léger sur les hauteurs où le mène son ténor stratosphérique.

Outre un abattage phénoménal, l’Eurydice de Kathryn Lewek fait briller un soprano à la fois charnu et agile, que cisèle tout un catalogue de grâces et d’espiègleries musicales. Elle pâtit cependant d’une diction trop floue, comme le Jupiter de Martin Winkler ou l’Orphée de Joel Prieto, qui a pour lui un timbre plein de soleil.

Heureusement, tous sont dispensés des dialogues parlés. Ils se contentent de les mimer en play back, alors que Max Hopp, non content de chanter les couplets de John Styx, leur prête sa voix – en allemand. Ou plutôt ses voix, tant ce génial comédien caméléon s’illustre par une versatilité d’accents et de couleurs démoniaque, qui se plie au profil de chaque rôle.

Démoniaque, la direction d’acteurs de Barrie Kosky l’est tout autant, peignant avec une vertigineuse invention les déboires d’une haute société décadente, à la mode du Second Empire. Spectacle au rythme trépidant, réglé comme du papier à musique, bourré de gags et de fortes connotations sexuelles.

Dans la fosse, on retrouve les Wiener Philharmoniker : quel luxe ! Enrique Mazzola se laisserait-il intimider par l’opulence de ces textures ? Une certaine solennité du geste a un peu trop tendance à assoupir l’ébriété du génie offenbachien, hormis dans les finales – dont rien ne peut, il est vrai, flétrir l’inébranlable grain de folie. Ne nous plaignons pas que la mariée est trop belle : tant de splendeurs sonores… c’est infernal.

Orphée aux Enfers d’Offenbach. Salzbourg, Haus für Mozart, le 17 août.

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