Opéra
Festival de Salzbourg : lorsqu’un #SimonBoccanegra trop branché Twitter est emporté par une distribution de rêve

Festival de Salzbourg : lorsqu’un #SimonBoccanegra trop branché Twitter est emporté par une distribution de rêve

20 August 2019 | PAR Paul Fourier

L’oeuvre de Verdi, portée par un quatuor magnifique, pâtit d’une direction insipide, d’une mise en scène décorative et d’une inutile actualisation du livret.

L’opéra de Verdi, Simon Boccanegra eut des débuts difficiles. D’abord rejeté par le public italien à Venise et à Milan, il connut une seconde vie, vingt ans après, lorsque, remanié par le compositeur, il récolta enfin le succès mérité et intégra le panthéon du Maître. Provenant d’une pièce d’Antonio Garcia Gutiérrez dont le contenu foisonnant imposa coupures et simplifications pour être adapté au format d’un opéra, l’intrigue en souffrit notablement, obligeant trop souvent les personnages à raconter les épisodes occultés. Ce constat, s’il posa problème, lors de la création, à un public parfois désarçonné, continue à constituer une gageure.

Les choix opérés par le metteur en scène, Andreas Kriegenburg, font montre d’une hésitation entre les différentes facettes de l’intrigue avec un résultat qui s’avère très décoratif et inutilement modernisé. Certes, c’est impressionnant et beau comme un appartement de luxe de la Cinquième Avenue et l’entièreté de la scène du Festpielhaus, du sol aux cintres, est occupée par le décor monumental. Ce parti pris esthétique, clair et froid, traduit l’opulence des puissants dans leurs lieux de pouvoir. Mais, ce faisant, le pendant noir sous-jacent, celui de l’affrontement de factions rivales, pendant des décennies, de meurtres et de trahisons, passe largement à la trappe. Les personnages, noyés dans cet espace, en sont réduits à entrer, sortir, défiler et monter des escaliers et leur jeu s’avère rapidement des plus sommaires.
Faisant un parallèle entre la puissance politique de l’empire maritime de Gênes au quatorzième siècle et la domination des grands trusts économiques de notre monde contemporain, Kriegenburg détourne l’ensemble vers un univers de business capitaliste qui ne colle guère à l’intrigue de Boccanegra. Les courtisans ressemblent à des cadres supérieurs, prêts à retourner leur chemise au premier coup de grisou et le peuple (peu plébéien et si bien pourvu en technologies modernes) passe son temps sur son téléphone mobile, tweetant, faisant des selfies ou s’affairant sur des jeux vidéos. Finalement l’actualisation réalisée n’ouvre guère de perspectives probantes de réflexion sur notre époque et l’exercice se révèle artificiel tant le metteur en scène peine à illustrer des arguments convaincants sur ses choix.

La distribution, elle, est absolument exemplaire.

En début de la représentation, Luca Salsi nous désarçonne par un personnage très éloigné du monolithe Tézier qui nous a éblouis à Paris à l’automne 2018. Son doge s’affirme comme un être sensible dès les premières mesures et Salsi va apporter une dimension profondément touchante à cet homme ordinaire tiraillé entre l’amour et les contraintes de sa position politique. Jouant de toutes les subtilités, de toutes les nuances, il confirme l’immense talent qui est le sien et fait de lui un des plus grands barytons verdiens de l’époque. Le contraste entre le « figlia » qu’il chante en voix de tête, alors que Boccanegra vient de retrouver sa fille, et son autorité presque blasée lors de la scène du Conseil résume magistralement cette délicate ambivalence.

Face à lui, le Fiesco de René Pape est somptueux. Tout aussi éloigné du patricien sans cœur que l’on peint d’habitude, Pape séduit d’abord par sa voix splendide avant d’exprimer les failles et de camper un père souffrant doublé d’un homme autoritaire, mais malgré tout plein d’humanité. La basse et le baryton jouent ainsi la partition de deux ennemis trop vite brisés par l’existence que les coups de boutoir de Paolo (excellent André Heyboer) vont rapprocher.

Avec Charles Castronovo, on ne peut rêver meilleur symbole de la virilité faite ténor, ce qui convient si bien à Adorno, sorte d’archétype du mâle verdien, prêt à tout anéantir sans chercher à comprendre. Avec le temps, la voix a pris des colorations sombres et si l’aigu est moins flamboyant, la profondeur du timbre traduit somptueusement la souffrance exaltée du rebelle. Passablement malmené par une intrigue qui n’épargne pas son personnage, le chanteur parvient ainsi à insuffler à cette figure peu en nuances, une ambiguïté réellement bienvenue.

Face aux hommes qui se déchirent pour elle, Amélia illustre le point de fixation amoureux de l’œuvre et Marina Rebeka endosse ce rôle avec cette assurance qui la qualifie si bien pour les héroïnes verdiennes et fait merveille pour Violetta, Luisa Miller, et aujourd’hui pour la fille de Boccanegra. Le souffle est stupéfiant et la voix, formée au bel canto combine ici souplesse, nuances, beauté du timbre avec une projection exemplaire. La soprano continue ainsi à creuser son sillon et c’est avec grand plaisir que nous la retrouverons cet automne dans Norma à Toulouse.

C’est donc bien une distribution et, particulièrement un quatuor, admirable qui nous permet de savourer chaque air, chaque duo, chaque ensemble. Mais force est de constater que, dans une configuration musicale plus idoine, nous aurions eu là une véritable version de référence.

Car malheureusement, la direction de Valery Gergiev s’avère inégale, comme trop souvent, et le Wiener Philharmoniker n’est pas à son meilleur. Abordant l’œuvre sans dynamique, sans exalter une partition qui l’exige et ne peut être enfermée dans un tapis sonore incolore, le Chef et son ensemble peinent à trouver ce mélange de nuances et de fulgurances que réclame ce chef-d’œuvre de Verdi. Ce n’est qu’à la fin qu’ils parviendront à nous convaincre, lorsque le drame s’affirme et que ces tempi trop alanguis conviendront à la souffrance des personnages. De son côté, le chœur conduit par Ernst Raffelsberger ne démérite pas, tant s’en faut, mais pâtit également de cette direction bien fade.

S’il n’y a pas tant d’occasions de combiner un quatuor de rêve pour Boccanegra, on reste frustré d’être, à la fois, ébloui par la richesse de cette distribution réunie pour le Festival, mais en même temps contrarié par les choix effectués qui ne les ont hélas !, pas suffisamment mis en valeur.

Visuel : © SF/Ruth Walz

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Paul Fourier

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