Cecilia Bartoli, reine de Salzbourg dans l’Alcina de Handel

- Publié le 21 août 2019 à 17:32
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Outre quelques partenaires triés sur le volet, la diva partage son triomphe avec Les Musiciens du Prince, venus de Monaco sous la direction de Gianluca Capuano.

C’est désormais une tradition : l’été, on reprend à Salzbourg une production du Festival de Pentecôte dirigé par Cecilia Bartoli, avec Cecilia Bartoli. Après L’Italienne à Alger en 2018, où la diva semblait légèrement à contre-emploi, on la retrouve cette année sur ses terres d’élection baroques : étrennée à Zurich en 2014, Alcina est sans doute une de ses plus belles conquêtes. Si l’incarnation semble avoir encore mûri avec le temps, l’art de la chanteuse est, lui, inaltéré, animant le moindre récitatif d’une palpitation qui n’appartient qu’à elle. Et dans les airs, que ce soit pour affronter la virtuosité la plus étincelante où s’abandonner à l’élégie introspective, passent des variations de couleurs, d’intensité et de sentiment à couper le souffle.

Inaltérée aussi, l’allure de jeune homme qu’affiche Philippe Jaroussky, la vigueur adolescente de sa voix, pour dire les tendres élans amoureux de Ruggiero. Mais comme à Aix-en-Provence naguère, la faiblesse du grave prive le fier chevalier de sa véritable étoffe héroïque. L’ivresse virtuose de « Sta nell’ircana » en pâtit.

Il y a peut-être plus de muscle chez Kristina Hammarström, Bradamante drapée dans le sombre velours d’un alto malléable et véloce, jusque dans les plus furieuses pyrotechnies que lui inspire son désir de vengeance (« Vorrei vendicarmi »). Sandrine Piau nous bluffe, par l’agilité du mot et de la phrase musicale ; si la texture de ce soprano peut parfois paraître trop légère pour Morgana, l’intelligence et la maîtrise de l’interprète y pourvoient.

Rien moins que latin de timbre, Christoph Strehl fait un Oronte un peu falot, au côté du Melisso d’un Alastair Miles qui donne de sa (grosse) voix de façon bien monochrome. Bonne idée, en revanche, d’avoir confié Oberto à un soprano garçon (comme à la création), d’autant que le jeune Sheen Park, membre des Petits chanteurs de Vienne, ne manque pas d’aplomb.

Les grâces du chant s’épanouissent tout ensemble avec celles de l’orchestre, ces Musiciens du Prince qui, depuis Monaco, transportent à Salzbourg leur bienfaisante cohésion et leurs teintes profuses. Gianluca Capuano impose en outre, entre la fosse et le plateau, une variété d’accents et d’allures qui fait palpiter le discours musical avec les péripéties du drame.

Un drame bourgeois censément alla Ibsen, bien entendu. Car Damiano Michieletto, comme nombre de ses confrères, ne s’embarrasse guère des codes du théâtre baroque : le décor chic et toc conçu par Paolo Fantin pourrait tout autant servir au Chevalier à la rose. D’ailleurs, comme la Maréchale, Alcina a un problème avec le temps qui passe, auquel la confronte son double âgé (on a déjà vu ça quelque part : à Aix chez Katie Mitchell). Et elle-même se muera subitement en vieille dame, pendant un « Mi restano le lagrime » transformé en scène finale – car afin de satisfaire aux besoins de la dramaturgie, on n’hésite pas à intervertir l’ordre des scènes.

Pour l’émerveillement fantastique, il faudra se contenter de quelques effets spéciaux auxquels concourt la vidéo. Et pour la dimension chevaleresque, attendre que Ruggiero et ses comparses quittent l’île (ou plutôt le loft) d’Alcina : ils troquent alors leurs fripes de Monoprix pour leurs tenues de paladins. C’est bien peu, trop peu en tout cas pour un livret si riche, si varié dans sa peinture des caractères et des situations.

Alcina de Handel. Salzbourg, Haus für Mozart, le 18 août.

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