Pour sa quarantième édition, le Festival Rossini de Pesaro – dont le directeur général, aux côtés du surintendant Ernesto Palacio, est depuis le début de l’année le Français Olivier Descotes – affiche une programmation mettant en valeur trois jalons de la carrière du compositeur : sa toute première œuvre théâtrale (Demetrio e Polibio, composé vers 1809 mais créé en 1812), son premier opera buffa en deux actes (L’equivoco stravagante, 1811), qui marqua la rencontre avec la Marcolini, et son dernier opera seria (Semiramide, 1823), l’ultime partition destinée à la Colbran. À cela s’ajoutent le « classique » que constitue la production du Viaggio a Reims reprise chaque année depuis 2001 par l’Académie du Festival, plusieurs concerts et un exceptionnel récital de gala réunissant une quinzaine de solistes, parmi lesquels Juan Diego Flórez, aujourd’hui l’un des plus emblématiques interprètes rossiniens et la plus fameuse « découverte » du Festival – où en 1996 un remplacement de dernière minute porta soudain un jeune chanteur inconnu sous les feux de la légende.

On retrouve avec plaisir la mise en scène d’Emilio Sagi et sa scénographie volontairement légère de forme et de fond. Un pur ciel bleu, un ponton de bois blanc et quelques transats suffisent à caractériser les bains de Plombières ; peignoir pour les invités, blouse blanche pour les employés : c’est simple et lisible, et frais à l’œil. Surtout, Elisabetta Courir, en charge de la reprise, sait parfaitement jouer avec les natures de chaque interprète et coud sur mesure une direction d’acteurs qui rend le spectacle comme neuf.

Avec ses dix-huit personnages allant du plus virtuose au plus ténu, le Viaggio est un ouvrage pertinent pour utiliser les mérites respectifs des recrues d’une académie de chant. Mais il constitue aussi un redoutable défi, Rossini ayant réservé aux rôles principaux, qui furent créés par la fine fleur du Théâtre-Italien (entre autres : Pasta, Cinti-Damoreau, Donzelli ou Bordogni), des parties vocales démontrant des talents exceptionnels. D’année en année, le Viaggio de Pesaro fait donc émerger tel ou telle jeune artiste dont on pressent que le devenir sera glorieux – et que l’on retrouve, quelques éditions plus tard, au premier rang des distributions « professionnelles » du Festival : l’Académie est dans son rôle.

Le millésime 2019 est une jolie réussite, même si ces jeunes voix ne remplissent pas encore complètement tous les interstices de l’écriture et des tessitures rossiniennes. Sous la direction attentive de Nikolas Nägele à la tête de l’impeccable Orchestra Sinfonica G. Rossini, on admire la mise en place des duos et ensembles, témoignant d’un travail préparatoire très approfondi et d’un esprit de troupe harmonieux et joueur. Sans citer chacun, on apprécie notamment les aigus délicatement nuancés de Giuliana Gianfaldoni (Corinna), le timbre rond de Chiara Tirotta (la marquise Melibea), le panache crâne d’Ulyana Biryukova (Maddalena), la belle tenue de Maria Chabounia (Madame Cortese) et l’abattage d’Olga Dyadiv (la comtesse de Folleville) ; chez les hommes, le Don Profondo de Diego Savini surclasse d’emblée ses confrères par une aisance scénique et théâtrale digne d’un vieux briscard, alliée à une technique sans faille où un admirable legato sait se combiner à la vocalité buffa. À suivre…

Chantal Cazaux

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Photos : Studio Amati Bacciardi