Une Butterfly d'après-guerre ouvre la saison liégeoise

Xl_butterfly © Opéra Royal de Walllonie-Liège

Alors que l’Opéra National de Paris reprend la mythique production de Madama Butterfly imaginée par Bob Wilson en 1993, c’en est une nouvelle que propose Stefano Mazzonis Di Pralafera à l’Opéra Royal de Wallonie, qu’il dirige depuis 2007. Il transpose l’action dans le Nagasaki d’après-guerre, c’est-à-dire après le tragique bombardement nucléaire de la ville nippone, ce qui renforce l’aspect prédateur de Pinkerton. L’acte I nous montre une ville reconstruite, et l’on ne peut imaginer plus parfaite image d’Epinal d’un Japon éternel, avec sa maison traditionnelle (et ses parois en papier), ses habitant(e)s vêtu(e)s de kimonos colorés, et son jardin aux pierres empilées les unes sur les autres. Changement radical de décors (signés par le fidèle Jean-Guy Lecat) à l’entracte : c’est une demeure sans âme typiquement américaine (et fonctionnelle) que l’on découvre, de même que les costumes (conçus par le non moins fidèle Fernand Ruiz) arborent dès lors des motifs et des coloris très fifties. Tout cela est très judicieux avant que les derniers instants du spectacle ne plongent les spectateurs dans une certaine sidération : c’est par hélicoptère que Pinkerton (et Kate) font leur apparition, en se posant (heureusement sans bruit) sur le toit de la maison de l'héroïne, dont le seppuku s’effectuera hors-champ. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises, et le landau qu’ils sont venus chercher est vide, suggérant que l’enfant n’a jamais existé et qu’il n’a été que le fruit de l’imagination de Cio-Cio San…

Cette dernière trouve dans les moyens de la soprano russe Svetlana Aksenova - plébiscitée en juin dernier au Théâtre Royal de la Monnaie dans Le Conte du Tsar Saltan - une interprète de choix. Elle investit son personnage de son tempérament de feu et de sa sensibilité passionnée. Sa voix moirée se fait porteuse de rêves, de nostalgies, de tourments, épousant les nuances de la partition. La chanteuse pétersbourgeoise rappelle utilement que l’héroïne de Giacomo Puccini n’a rien d’un papillon fragile ni d’un rossignol automate, mais requiert une tragédienne sachant doser ses effets, ce qu’est indubitablement Askenova. Avec son physique avantageux, son timbre séduisant, mais son chant frustre et dépourvu d’élégance, son compatriote Alexey Dolgov va cependant dans le sens de la caractérisation de son personnage, et contribue ainsi à sa crédibilité totale. Dans le même esprit, on situera un Sharpless plutôt effacé (campé par Mario Cassi, moins pire qu’à l’ordinaire…), mais on accordera une mention particulière à la vibrante Suzuki de la mezzo italienne Sabina Willeit. De leurs côtés, Saverio Fiore campe un Goro mielleux à souhait, Patrick Delcour un Yamadori solide et Luca Dall’Amico un Bonze plein d’autorité furieuse.

Enfin, l’on pouvait s’y attendre, la cheffe italienne Speranza Scappucci dirige un Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège admirable de précision et d’engagement : elle le mène de main de maître, en s’attachant à rendre les moindres couleurs de la partition foisonnante de Puccini, et à en faire passer toutes les effusions.

Emmanuel Andrieu

Madama Butterfly de Giacomo Puccini à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 28 septembre 2019

Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie-Liège

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