On prend place à l’Opéra de Marseille sur fond sonore de gazouillis d’oiseaux, et on repère la présence en avant-scène d’un petit rocher côté jardin, un coffre au centre et le sommet d’un obélisque côté cour. Les trois garçons entrent sur le plateau pendant l’ouverture et piochent des déguisements dans le coffre : on commence par Tintin, Dupont et Dupond, mais on verra aussi défiler plus tard Spirou, Spiderman, le Marsupilami, Batman, le Capitaine Haddock, Lucky Luke, ou encore Super Mario, Pinocchio, Harry Potter… À propos de magie justement, ce sont des baguettes que place le metteur en scène Numa Sadoul dans les mains de Tamino et de Papageno pour figurer la flûte enchantée et le glockenspiel, et ce sont des enfants en guenilles, et non des animaux, qui se rassemblent autour de Tamino lorsque celui-ci joue de son instrument.

Dans cette production de La Flûte enchantée créée à l’Opéra de Nice en décembre 2016, l'humour est appréciable tout en restant à dose assez mesurée : dans son pantalon blanc aux motifs d’oiseaux bleus du logo Twitter, Papageno joue sans en faire des tonnes. Les épreuves du feu et de l’eau sont en revanche peu spectaculaires, évoquées par des lueurs rouges puis bleues, tandis que le couple Tamino-Pamina s’y dirige entre les choristes qui tiennent des épées lumineuses au sol, comme dans les films Star Wars. Avant le rideau final, où de rares huées se feront entendre, c’est la réconciliation générale, Pamina ramenant par la main la Reine de la Nuit qui échange sa veste blanche contre la noire de Sarastro.

La partie masculine domine le plateau vocal avec tout d’abord Cyrille Dubois, dont on a du mal à croire qu’il s’agit ce soir de son premier Tamino, tant la performance est aboutie et paraît naturelle. Dès son air « Dies Bildnis », la conduite de chant est élégante, délicate, mais aussi projetée dans un volume appréciable, le ténor disposant d’une très confortable longueur de souffle. Également en prise de rôle, le baryton Philippe Estèphe chante Papageno d’une voix saine et qui ne force pas, au grain riche et joliment timbré, ces deux chanteurs faisant entendre un allemand idiomatique. Le Sarastro de Wenwei Zhang est moins marquant. La basse tient son rôle mais les notes les plus graves ne sont pas les plus épanouies. Les rôles secondaires sont tous très bien défendus, comme le toujours très drôle et bien chantant Loïc Félix en Monostatos, qui nous gratifie d’un petit numéro de claquettes pendant qu’il est sous l’emprise du glockenspiel joué par Papageno. La voix un peu fixe de Frédéric Caton convient bien à l’Orateur, Guilhem Worms et Christophe Berry composent une très belle paire de prêtres, puis d’hommes armés, alors que les trois garçons ne se hissent malheureusement pas exactement à ce niveau.

Côté femmes, Anne-Catherine Gillet en Pamina rencontre de petits problèmes d’intonation en début d’intervention, dans son duo « Mann und Weib » avec Papageno, mais retrouve ensuite la maîtrise de sa musicalité. On apprécie son timbre assez unique et plein de charme, au vibrato certes développé, la voix s’étant élargie ces dernières années, ce qui peut la mettre par instants en difficulté pour alléger, comme au cours de l’air « Ach, ich fühl’s ». Serenad Uyar vient à bout sans encombre des airs meurtriers de la Reine de la Nuit. On sent que la marge est mince sur certains traits d’agilité, mais sa technique de notes piquées et ses capacités d’excursion du registre suraigu déclenchent les applaudissements du public lors de la reprise du thème « Der Hölle Rache »… dommage pour ceux qui veulent écouter ! L’intervention de Caroline Meng en Papagena est très satisfaisante, mais beaucoup moins l’ensemble des trois Dames, dont l’allemand parlé est bien exotique.

Les chœurs se montrent appliqués, tout comme les musiciens, très aguerris techniquement. On peut également parler de bonne qualité technique pour ce qui concerne la direction de Lawrence Foster. On est cependant bien moins enthousiaste à propos de l’interprétation, le chef choisissant des tempos particulièrement lents, dès le début de l’ouverture, sans caractère particulier, ni solennel, ni guilleret, ni léger… La musique avance, mais en déficit de contrastes et de caractères marqués. Il faut signaler aussi des petits décalages avec plusieurs solistes, vite rattrapés, aussi bien de légers retards que d’infimes avances, comme pour la Reine de la Nuit dans ce dernier cas. Ces imperfections ne gâchent pas le plaisir du public qui salue ce beau lancement de saison marseillaise.

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