A Bruxelles, Benjamin Attahir dans l’ombre intimidante de Maeterlinck… et Debussy

- Publié le 27 septembre 2019 à 03:52
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Adapter pour une scène lyrique les Trois petits drames pour marionnettes de Maurice Maeterlinck ? L'idée vient d'Olivier Lexa, amoureux de la langue du prix Nobel et admirateur de son triptyque. Avec l'intendant flamand de La Monnaie, Peter de Caluwe, heureux de promouvoir son glorieux compatriote, le metteur en scène a trouvé à la Villa Médicis un jeune talent capable de mettre des notes sur les mots troublants de l'écrivain symboliste.

L’« opéra sans musique » vanté par Claude Régy est devenu un opéra avec trois heures de musique, intitulé Le Silence des ombres : défi périlleux pour un jeune trentenaire signant son premier ouvrage lyrique. Benjamin Attahir (né en 1989) n’est cependant pas un novice et l’opéra résonne en lui depuis sa jeunesse toulousaine dans les rangs de la Maîtrise du Capitole.

Dès le premier volet, La Mort de Tintagiles, le compositeur narre avec habileté la vie sans joie ni liberté d’un garçon à l’ombre d’un château étouffant. Attahir explore la noirceur du propos dans son orchestre de chambre, à la taille de la minuscule fosse du KVS, le Théâtre royal flamand : une vingtaine de musiciens dont des cordes graves mais pas de violons, la harpe, le piano et l’accordéon pour flatter la résonance, les arabesques mates du serpent — instrument cher au compositeur français d’origine libanaise — pour cultiver le mystère… La gravité n’exclut pas la candeur de l’enfance, que le geste entretient avec des motifs d’une grande simplicité repris et transformés, dans un esprit de comptine assumé. Le compositeur-chef, clair dans ses intentions, sait construire des lignes de tension, des progressions : le sens du théâtre est là. L’évidence de la ligne de chant également, qui met aux premiers plans Raquel Camarinha — une vocalité à la Barbara Hannigan passe dans ce soprano plein de grâce, d’agilité, de lumineuse diction —, ainsi que la basse aussi confortable qu’éloquente de Renaud Delaigue.

La deuxième pièce, Intérieur, est un pari risqué — un mélodrame entièrement parlé — que le compositeur, tout à son orchestre, transforme en heureuse respiration. Il est question de la difficulté de faire, encore, et même de dire : le Vieillard recule le moment d’annoncer à une famille la terrible nouvelle de la mort d’une enfant. Comme dans les deux autres tableaux, Olivier Lexa habille ses murs médiévaux d’ombres et de lumières, et ici les coiffe de la projection d’un film surplombant, pas vraiment utile.

Alladine et Palomides aurait pu être un sommet pour Attahir, qui est dans son élément oriental — cela s’entend — à travers cette histoire d’esclave méditerranéenne suppliciée avec l’homme subtilisé à sa fiancée. Mais le fantôme de Debussy hante la demeure d’Arkel (pardon, d’Ablamore), la langue de Maeterlinck pèse ; Attahir se réclame de Poulenc et Ravel dans le programme de salle, mais c’est la prosodie de Pelléas qui nous submerge, a fortiori dans une interminable scène de grotte. Dommage pour le ténor Pierre Derhet, qui tient ferme son Palomides, et pour l’Alladine soigneusement dessinée par Julia Szproch. Quelques élégants enlacements et arabesques (le couple, les soeurs) en fin de partie n’y font rien : le charme n’opère plus guère, la consonance appuyée s’expose au reproche de frilosité esthétique. Maeterlinck ou pas, fallait-il faire si long ?

Le Silence des ombres d’Attahir. Bruxelles, KVS (Théâtre royal flamand), le 25 septembre. Représentations jusqu’au 6 octobre.

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