L’inondation
Opéra en 2 actes de Francesco Filidei
Livret original de Joël Pommerat
d’après une nouvelle de Evgueni Zamiatine (1884–1937)
Publiée en 1929
Commande de l’Opéra-Comique avec l’aide à l’écriture du Ministère de la Culture
Création mondiale Opéra-Comique, salle Favart

Joël Pommerat (Mise en scène)
Renaud Rubiano (Vidéo)
Isabelle Deffin (Costumes, maquillage, perruques)
Éric Soyer (Décors et Lumières)

Chloé Briot (La Femme)
Boris Grappe (L’Homme)
Norma Nahoun (La Jeune Fille)
Cypriane Gardin (La Jeune Fille comédienne)
Enguerrand de Hys (Le Voisin)
Yael Raanan-Vandor (La Voisine)
Guilhem Terrail (Le Narrateur, le Policier)
Vincent Le Texier (Le Médecin)

Enfants et Figurants
Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique
Orchestre Philharmonique de Radio France
Emilio Pomarico (Direction musicale)

Paris, Opéra-Comique, 30 septembre 2019

L’Opéra-Comique présente jusqu’au 3 octobre la dernière création de Joël Pommerat, librettiste et metteur en scène du second opéra du compositeur italien Francesco Filidei, L’inondation, tiré d’une nouvelle éponyme de Evgueni Zamiatine. Sans doute trop attendu après une suite quasi ininterrompue de réussites, cet opus théâtralo-lyrique aussi lancinant que démoralisant ne nous a pas convaincu ; l’investissement de l’ensemble des protagonistes est cependant total.

De bas en haut : Chloé Briot (la Femme), Yael Raanan-Vandor (la Voisine), Enguerrand de Hys (le voisin), enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, Guilhem Terrail (le Narrateur) 

Valeur sûre de la scène française depuis plusieurs années, Joël Pommerat pour avoir réalisé de magnifiques spectacles, est aujourd’hui plus qu’un autre attendu à chacune de ses créations. Qu’il travaille pour le théâtre où il met en scène ses propres textes pour enfants (Pinocchio, Cendrillon), ou pour adultes (L’unification des deux Corées, Ca ira, fin de Louis), à l’opéra aux côtés de Philippe Boesmans dans Au Monde qu’il avait d’abord monté pour le théâtre avant qu’il ne soit adapté pour être chanté et plus récemment avec Pinocchio donné à Aix en Provence en 2017, rien de ce qu’il fait ne passe inaperçu. L’Opéra-Comique qui entretient un compagnonnage de longue date avec lui n’a pas hésité à lui passer commande d’une œuvre lyrique pour laquelle il est l’auteur du livret et de la mise en scène. Après avoir collaboré avec Oscar Bianchi sur Thanks to my eyes, Pommerat a trouvé un nouveau complice en la personne du compositeur Francesco Filidei à qui l’on doit un récent Giordano Bruno (2015). Le choix de L’inondation nouvelle écrite par le russe Evgueni Zamiatine, entre autres librettiste du Nez de Chostakovitch d’après Gogol et du scénario du long-métrage de Jean Renoir Les bas-fonds (1936) tiré de Gorki, est des plus surprenants. Pour quelles raisons les deux hommes se sont intéressés à cette sombre et triste histoire de couple et déshérence amoureuse, contraint de recueillir une gamine avec laquelle le mari va coucher avant qu’elle ne disparaisse, que la femme se découvre enceinte et tutoie contre toute attente la folie après l’accouchement ? Tout dans cette histoire n’est que désolation : l’appartement, le voisinage, la région, le temps, les conditions de vie et de travail, jusqu’aux perspectives d’avenir qui baignent dans un misérabilisme rapidement lassant. Certes, le thème omniprésent de la montée des eaux du fleuve et des risques encourus par les habitants de cette étrange contrée constituent une matière dramaturgique, mais les personnages ont trop peu d’épaisseur pour donner du souffle à une intrigue sans relief, ni ressort. Seul le personnage énigmatique de la femme mutique, qui accepte résignée d’être ouvertement trompée par son mari avec une adolescente de quatorze ans et qui délire une semaine après avoir accouchée, aurait pu être intéressant si le lien entre le débordement symbolisé par ce flot impétueux de mots d’angoisse et de désirs tapis et l'inondation qui les contraint à quitter leur domicile avait été plus subtilement exprimé. A défaut d’un livret riche et concis, les mots employés par le librettiste sonnent souvent creux, les scènes explicatives du Policier-narrateur, ou paroxystiques (final du 1er acte et scène de folie de la femme) apportant finalement plus de questions qu’elles n’en résolvent. Respectueux des voix et de leurs tessitures, la partition de Filidei s’apparente davantage à une musique de sensation que d’accompagnement. Habile à traduire les espaces mentaux des personnages, le compositeur déploie tout un arsenal de sons tirés d’un orchestre fourni, mêlés à d’autres comme la tempête, les oiseaux, diverses déflagrations, chocs ou étranges oscillations semblent avoir été écrits pour coller à des images ou à des situations comme dans une musique de film. Jouant avec les répétitions en tachant de laisser s’épanouir la prosodie, la partition dirigée avec une main de fer par Emilio Pomarico à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France n’est pas toujours tendre avec les interprètes souvent écrasés par le poids d’une phalange très plantureuse.

Chloé Briot (la Femme), Boris Grappe (l’Homme)

La soprano Chloé Briot défend le rôle de la Femme avec pugnacité et un plaisir certain à manier cette extrême dualité qu’elle porte en elle, à la fois placide et capable du pire comme toutes les grandes schizophrènes, face à Boris Grappe (le mari) massif et tourmenté, taiseux et pourtant amoureux, même s’il commet un adultère avec cette jeune fille taciturne. Celle-ci jouée par une comédienne (Cypriane Gardin) et chantée, très justement, par la soprano Norma Nahoun est une énigme, puisqu’elle disparait sans laisser de trace après l’inondation. Le couple de voisins, composé par Enguerrand de Hys et Yael Raana-Vandor, ne dispose que d’un parlando sans grand intérêt musical, celui du Policier-narrateur confié en revanche à l’élégant contre-ténor Guilhem Terrail, travaillé comme une psalmodie brittenienne étant nettement plus inspiré, le rôle épisodique du Médecin revenant à Vincent le Texier, toujours impeccable.

Chloé Briot (la Femme), Vincent Le Texier (le Médecin)

Lourde et appuyée, la mise en scène cafardeuse de Pommerat fige malheureusement le propos sans lui apporter la respiration dont il aurait eu tant besoin. Cet immeuble en coupe sur trois niveaux qui tient lieu de décor (Éric Soyer), vu et revu sur toutes les scènes du monde (de La damnation de Faust signée Robert Lepage à Written on skin de Katie Mitchell), n’est plus aujourd’hui une nouveauté et les drames intimes qui s’y commettent souvent concomitamment, demandent au spectateur de grands efforts de concentration s’il ne veut pas manquer un événement. Dans cette succession d’images de vie quotidienne marquée par des tâches ordinaires, la scène du meurtre de la jeune fille par la femme, utilisée comme un flashback, aurait dû glacer le sang et pourtant elle tombe à plat, comme celle de la montée des eaux représentée par une vidéo simplette ; seule la scène de groupe jouée au ralenti est une vraie trouvaille de théâtre puissante et maîtrisée. Dommage.

Chloé Briot (la Femme), Norma Nahoun (la Jeune Fille)

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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