Opéra
Une Butterfly saisissante épure Montpellier

Une Butterfly saisissante épure Montpellier

05 October 2019 | PAR Gilles Charlassier

L’Opéra national de Montpellier Occitanie ouvre sa saison en mettant à l’honneur la résidence artistique de Ted Huffman, avec une Madama Butterfly importée de Zurich, défendue par l’incarnation de Karah Son dans le rôle-titre et la direction alerte de Matteo Beltrami.

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Si une Madama Butterfly constitue l’assurance de combler le public – et en particulier les amateurs les moins iconoclastes –, mettre à l’affiche un des plus grands classiques du répertoire peut courir le risque de l’indolence de la tradition. En important la production de l’opéra de Puccini que Ted Huffman, metteur en scène en résidence à l’Opéra national Montpellier Occitanie depuis la dernière saison, a réglée pour Zurich, Valérie Chevalier a choisi un équilibre subtil en ouverture de sa cinquième saison.

La scénographie décrit avec une économie mobile l’intrusion coloniale sur une terre nippone jusqu’alors fermée à l’Occident, sans appuyer le trait social et politique, dans une patine consensuelle que l’on pourrait qualifier d’anglo-saxonne et qui a d’abord l’avantage de ne pas empiéter sur le drame intime, celui d’un amour juvénile et aveugle qui se brise les ailes sur le mur de la réalité. Sorti de malles de paille, le mobilier de Pinkerton, installé à vu, résume, avec une pointe de cruauté latente, la légèreté d’un engagement itinérant que l’on peut replier à volonté. Si les couleurs des costumes d’Annemarie Woods et les mouvements chorégraphiques réglés par Sonoko Kamimura-Ostern n’oublient pas un rituel japonisant, le propos ne verse jamais dans l’exotisme divertissant, et sert d’abord la graduation de l’émotion, secondée par les lumières décantées de D.M. Wood. Dans ce huis clos d’un blanc clinique où l’épure ne se confond pas avec l’abstraction, la modulation délicate des pastels de l’aube fait palpiter avec une poésie aussi saisissante que retenue l’attente de l’épouse abandonnée. Cette pudeur visuelle n’impose pas pour autant une distanciation rigide dans le jeu d’acteurs. Au-delà du duo d’amour où l’officier de marine enveloppe Butterfly de son torse dénudé, c’est dans les bras de Pinkerton que l’héroïne se sacrifiera, précipitant les cris de remords, habituellement maintenus en coulisses, jusque sur la scène.

Dans le rôle-titre, Karah Son fait chavirer le public, par une irrésistible alchimie entre la fragilité et l’intensité lyrique, où l’effusion n’altère jamais la pureté de la ligne et de l’expression, par-delà quelque anecdotique aléa de la tension d’une première. En Pinkerton, Jonathan Tetelman impose la fougue vaillante de la jeunesse, un peu monolithique, sans céder cependant à la tentation des décibels, et se révèle d’une évidente crédibilité. Celle du Sharpless d’Armando Noguera déploie de remarquables nuances de complexité psychologique dans l’incarnation du consul paternel mais impuissant à prévenir le drame. Le baryton argentin se montre attentif aux inflexions du phrasé et des mots, sans s’extraire du galbe d’un chant maîtrisé. Un des Sharpless les plus accomplis qu’il nous ait été donné d’entendre. Fleur Barron affirme une Suzuki homogène et de belle tenue. Sahy Ratia séduit par son Goro lumineux qui évite la caricature de la rapacité. Christine Craipeau assume honnêtement les quelques répliques de Kate Pinkerton, quand celles de l’oncle Yakusidé reviennent à Jean-Philippe Ellouet-Molina, aux côtés du bonze râpeux et nasal de Daniel Grice, et le pâle Yamadori de Ronan Nedelec. Préparés efficacement par Noëlle Gény, les choeurs fournissent également les effectifs des comprimarii du mariage. A la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, Matteo Beltrami fait respirer avec souplesse la partition de Puccini, et en fait ressortir la vitalité émotionnelle, sans pesanteur. Une Butterfly qui touche à la vérité de l’oeuvre et des sentiments !

Gilles Charlassier

Madama Butterfly, Puccini, mise en scène : Ted Huffman, Opéra national Montpellier Occitanie,  jusqu’au 6 octobre 2019

©Marc Ginot

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Gilles Charlassier

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