Fasciné par le souffle puissant des oratorios de Haendel et des passions de Bach, Mendelssohn a écrit à dix ans d’intervalle deux œuvres monumentales, Paulus et Elias. Inspiré par la vie du prophète et largement composé par ses soins, le livret est un catalogue d’images d’Épinal formidablement adapté à une transposition musicale. On est loin de l’illustration des mystères de la Vierge de Biber mais le feu des passions et la douceur du sentiment religieux y sont merveilleusement représentés. Berlioz, après une exécution à Londres en 1848, dira : « c’est magnifiquement grand et d’une somptuosité harmonique indescriptible ».

Créée à Birmingham en 1846 (dans la version anglaise choisie ce soir), l’œuvre utilise parfois des formes hybrides (comme le chœur avec récitatif) mais les épisodes de « turba » où la foule commente l'action et certains airs (« It is enough », « Then shall the righteous shine ») font clairement référence aux procédés expressifs du Cantor de Leipzig.

Grand spécialiste du baroque allemand, Masaaki Suzuki explore depuis quelques années ce répertoire où la grandeur voisine avec une certaine sentimentalité. Avec le chœur et l’orchestre of the Age of Enlightenment sur instruments anciens et un chef attentif à la filiation historique de cette œuvre, les conditions étaient favorables à la réussite de cette fusion des genres où les modernes romantiques viennent puiser aux sources des anciens.

On a connu le légendaire orchestre dans une meilleure forme que ce soir : quelques scories de mise en place dans les cordes, une petite harmonie pas tout à fait homogène (dont les clarinettes sont fâchées avec l’intonation), un pupitre de violoncelles imprécis dans les interventions à découvert... Suzuki tente de rassembler ses troupes avec un bonheur inégal sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées. De la même manière, le manque de fusion entre les cuivres et les pupitres masculins du chœur (« We cry to thee ») ne favorise pas les effets clairement contrastés de l’écriture. Très efficace au complet, le chœur a ses moments de faiblesse en petit effectif, les vibratos féminins assombrissant la lumière du double quatuor et du trio des Anges. Sans doute conscient des remarques de Mendelssohn qui redoutait une interprétation trop sucrée des solos, Suzuki est très attentif au détail de l’écrin orchestral.

Dans cet univers sonore plus restreint et plus contrôlé, Carolyn Sampson trouve des couleurs ravissantes dans l’air « Hear ye, Israel » et fait preuve d’une autorité radieuse dans « Behold, God hath sent Elijah ». La mezzo Anna Stéphany, très émouvante dans le noble arioso « Woe unto them who forsake him », offre une palette de couleurs convaincante dans l’imprécation « Have ye not heard » qui l’oppose à un chœur saisi de doutes.

Côté masculin, le rôle d’Elias est campé par un Roderick Williams particulièrement à l’aise dans une tessiture qui l’oppose presque constamment aux fureurs de l’orchestre. Il parvient à doter cette écriture dramatique souvent conventionnelle d’une belle expressivité et livre un « It is enough » singulièrement intense et crépusculaire. Le ténor Robert Murray semble taillé pour les rôles d’Abdias et d’Achab. Le timbre princier, l’attention permanente au texte, le phrasé d’une extrême élégance parent le célèbre « Then the righteous shine forth » de couleurs tendres et sensibles. C’est peut-être le seul, en ce soir du 8 octobre, à avoir parfaitement saisi le sentiment de piété si cher à Mendelssohn.

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