The Indian Queen à l’Opéra de Lille : splendeurs musicales et panne de théâtre

- Publié le 14 octobre 2019 à 16:52
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L'Opéra de Lille remonte le semi-opéra de Purcell et Dryden plus de trois siècles après sa création. Mais la vidéo sert une fois de plus de cache-misère à la panne dramaturgique. Ce qui n'empêche les interprètes de magnifier texte et musique.

Inachevée à la mort de Purcell en 1695, sa partition pour l’Indian Queen, pièce co-écrite trente ans plus tôt par John Dryden et son beau-frère Robert Howard, reste oubliée au théâtre. La musique, parmi les plus belles de l’Orpheus britannicus, n’est pas en cause – en atteste depuis longtemps une discographie où brillent Hogwood et Gardiner. Mais sa répartition inégale au sein du drame – prologue, actes II et III surtout -, sa place dans une intrigue où s’affrontent deux empires pré-colombiens, la gentille banalité à l’acte V d’un masque signé Daniel Purcell (frère d’Henry) posent autant de défis à qui veut ressusciter le semi-opera. Le spectacle présenté en 2013 par Peter Sellars les contournait, évacuant la pièce originelle.

Guy Cassiers et Emmanuelle Haïm les relèvent aujourd’hui, et nous rendent le somptueux texte en vers rimés qui occupe à lui seul l’essentiel de ces deux heures et demie. Un superbe cast d’acteurs anglophones en exalte la saveur sans en perdre une goutte ; leurs voix amplifiées se permettent des nuances inaccessibles à la simple déclamation, plongent dans des ténèbres intimes les scènes les plus brillantes.

L’histoire, où l’héroïque général Montezuma trahit tour à tour les ennemis incas et mexicains pour l’amour de la belle Orazia, inspire moins le metteur en scène et son vidéaste Frederik Jassogne. Seul décor dans une ambiance noire, leurs écrans suspendus doublent sous forme de film ce qui se joue sur scène, à renfort de kitsch : les lumières de Dallas claquent sur les costumes de Game of Thrones. Sous prétexte de « réflexion, contraste, abstraction, ralentissement, agrandissement, stylisation » – lisez le programme -, ce qui paraît finalement pure redondance s’accompagne d’un décalage niais entre le mouvement des lèvres (en vidéo ) et le son des voix (en direct), de déformations laides quand la projection chevauche les écrans, d’une inertie gênante à la longue dans le mouvement scénique.

Pas de quoi gâcher toutefois le verbe irrésistible, les intentions troublantes de Julie Legrand, dont l’usurpatrice Zempoalla domine la distribution théâtrale. Côté musique, la cheffe résidente déploie toutes les couleurs de pages sublimes, troque judicieusement celles de Daniel Purcell pour d’autres glanées ailleurs chez Henry : « Here the deities » chanté par la viole, Man that is bornLe Concert d’Astrée forme des textures grisantes sans s’y complaire, bondit sur chaque accent – on respire quand d’inutiles castagnettes disparaissent après l’ouverture. L’Orazia de Rowan Pierce touche plus qu’elle ne bouleverse dans « They tell us », l’Ismeron de Gareth Brynmor John sonne plus prêtre que sorcier (« Ye twice ten hundred deities ») ; rien ne déçoit néanmoins d’un plateau vocal jeune et homogène, également à l’aise dans sa langue natale. Timbres charmants, éloquents, à la mesure d’emplois variés comme ceux du ténor Hugo Hymas – aussi aimable en Gloire qu’en Indien. Résurrection accomplie : reste à partager la bonne nouvelle !

The Indian Queen de Purcell. Lille, Opéra, le 11 octobre.

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