La production automnale de l’Opéra de Québec ne sort guère des sentiers battus en ce qui a trait au répertoire. La Traviata figure en effet parmi les opéras les plus joués sur la planète et avait été donné dans la capitale pas plus tard qu’en 2012. On a visiblement proposé au directeur Grégoire Legendre de s’associer à cette production québécoise donnée il y a quelques mois en Islande et c’était, comme on dit, maintenant ou jamais. En constatant la qualité du « produit » et la quantité de spectateurs présents pour la deuxième représentation, on peut assurément affirmer qu’il s’agissait d’une décision avisée.

Un des éléments forts de la soirée est sans doute le dispositif scénique conçu par Simon Guilbault, dont l’originalité dépasse tout ce qu’on a pu voir en saison régulière dans les dernières années, à l’exception peut-être du Barbier de Séville en 2017. À mi-chemin entre un plateau de talkshow et un décor de comédie musicale, le tout n’est pas sans faire penser à l’univers du cinéaste Baz Luhrmann, notamment dans The Great Gatsby. À gauche, un immense cocon suspendu faisant penser au célèbre 30 St Mary Axe, un édifice de la City de Londres évoquant la forme d'un cornichon. À droite, des panneaux aux motifs art déco. L’ensemble sert de support à des projections donnant dans le clinquant assumé.

Les costumes de Sébastien Dionne sont du même acabit. On donne dans le strass et les couleurs éclatantes. C’est un spectacle très sexy, très sensuel – pensons seulement à Flora, femme fatale style Moulin Rouge au troisième acte, ou à Alfredo sortant du spa torse nu au début du deuxième acte.

La mise en scène d’Oriol Tomas, nouveau venu à l’Opéra de Québec, contient plusieurs idées intéressantes, même si la direction d’acteurs laisse parfois à désirer. Si Gregory Dahl se débrouille généralement bien dans la peau du relativement froid Giorgio Germont, l’incarnation faite par Marianne Fiset et Rocco Rupolo des deux rôles principaux est souvent inégale. Dans son « È strano », la première semble davantage préoccupée par sa technique vocale que de faire sentir la tempête intérieure vécue par l'héroïne, et les « Io son felice » (Je suis heureux) du second sont nullement ressentis. Il n’en est pas autrement au troisième acte, dont les moments déchirants passent parfois à côté. Quant aux scènes d’ensemble, si elles visent juste aux deuxième et troisième actes, elles sont toutefois un brin statiques au début de l’opéra. L’idée de projeter le visage de Violetta à certains moments clés impressionne, mais reste inutilement distrayante. Il y a cependant de bons coups, dont l’apparition surprenante d’Alfredo durant la fête chez Flora... On ne vous en dit pas davantage !

Le luxe vocal auquel nous avons eu droit compense largement les quelques problèmes sur le plan dramatique, même si la Violetta de Marianne Fiset n’est pas tout à fait idéale. Si la première partie de son grand air (« Ah fors’è lui ») est belle à faire pleurer les pierres, la seconde voit la chanteuse nettement moins en contrôle, allant jusqu’à escamoter quelques mesures avant le traditionnel et attendu contre-mi bémol final qui ne vient pas, la soprano s'en tenant à la version moins risquée de la partition originale. À l’aise dans les passages lyriques où sa voix de velours s’épanouit magnifiquement, Marianne Fiset l’est beaucoup moins dans les coloratures, qu’elle a assurément dans la voix, mais qui sont ici coincées à cause d’un visible manque de confiance. Les choses se replacent toutefois par la suite, notamment dans un « Addio del passato » d’anthologie au troisième acte.

L’Alfredo du Torontois Rocco Rupolo est une très agréable découverte. Sa voix de ténor lyrique léger est caractérisée par une couleur brillante, superbement timbrée, généralement à l’aise dans les aigus. Le contre-do final de sa cabalette du deuxième acte est tout simplement impressionnant. Le Giorgio Germont de Gregory Dahl, un habitué de la maison qui avait quelque peu déçu dans Wagner l’été passé, suscite le même enthousiasme. Dahl est un verdien de premier ordre qui pourrait chanter ce rôle sur les plus grandes scènes. Son « Di Provenza il mar » est une véritable leçon de chant comme on en a rarement vue sur cette scène. Des aigus d’une telle facilité, d’une telle plénitude, sortent de l'ordinaire. Quant aux rôles plus secondaires, les toujours excellentes Marie-Michèle Roberge et Caroline Gélinas se démarquent en Annina et Flora, de même que le baryton Max van Wyck en baron Douphol. Les chœurs sonnent magnifiquement, entre autres grâce aux aigus légers et brillants des sopranos.

Autre surprise fort agréable : les débuts à Québec du chef espagnol Pedro Halffter Caro. Si on excepte le début du premier acte, dont le côté brillantissimo et molto vivace n’est pas assez souligné, tout est dirigé avec élégance, justesse, éloquence. Une idée de successeur à Fabien Gabel à l’Orchestre symphonique de Québec ?

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