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Orphée sur L’Ile des morts

Baden-Baden
Festspielhaus
09/27/2019 -  et 28*, 29 septembre 2019
Christoph Willibald Gluck : Orphée et Eurydice
Dimitry Korchak/Maxim Mironov* (Orphée), Arianna Vendittelli (Eurydice), Marie-Sophie Pollak (L’Amour), Hamburg Ballett
Vocalensemble Rastatt, Freiburger Barockorchester, Alessandro De Marchi (direction)
John Neumeier (mise en scène, chorégraphie, décors, costumes et éclairages)


(© Kiran West)


Pour un chorégraphe, les nombreux numéros de ballet des opéras de Gluck sont des terrains d’expérimentation fertiles, a fortiori quand on lui accorde d'être seul maître d’œuvre du projet, ce qui aboutit en général à une véritable prise de pouvoir de la danse. Cet Orphée et Eurydice mis en scène par John Neumeier, ne fait pas exception, avec un Ballet de Hambourg qui envahit continuellement toute la scène. Mais fallait-il pour autant reléguer le chœur à des fonctions exclusivement musicales, en fosse derrière l’orchestre, ce qui est assurément dommage ? Quant aux solistes, s’ils ne sont pas totalement chassés du plateau, leur interaction avec la danse reste sommaire. En ce sens, dans cette production conçue pour le Lyric Opera de Chicago en 2017, John Neumeier va beaucoup moins loin dans l’intégration chorégraphique des chanteurs, et a fortiori du chœur, que par exemple Sidi Larbi Cherkaoui dans ses brillants Alceste de Gluck voire Indes galantes de Rameau créés récemment à l’Opéra de Munich, de véritables synthèses d’art total qui creusent un réel écart par rapport à cet Orphée honorable mais trop prévisible.


Chez Neumeier, Orphée devient un maître de ballet, très occuper à répéter une chorégraphie autour de la thématique de L’Ile des morts, en résonance avec le tableau d’Arnold Böcklin posé sur un chevalet à l’avant-scène. Pendant l’Ouverture, la compagnie s’affaire à s’échauffer, en attendant Eurydice, danseuse soliste qui arrive très en retard : échanges vifs puis querelle conjugale, portes claquées... L’épouse offensée repart, et quelques secondes plus tard un hurlement de freins et un rideau brutalement levé sur une voiture accidentée nous font connaître son sort sans ambiguïté. La suite de l’action est narrée de façon plutôt conventionnelle, à l’exception de la fin « heureuse » de l’ouvrage, qui ne débouche sur rien de bien optimiste : Orphée paraît tellement obnubilé par son projet de chorégraphie que son épouse retrouvée ne l’intéresse guère. Dépression? Suicide? Les dernières images ne nous montrent qu’un Orphée à nouveau désespéré, tenant dans ses bras le seul voile blanc d’Eurydice.


Un tel concept pourrait assez bien fonctionner s’il était présenté de façon plus originale, mais Neumeier semble souvent en panne d’idées. Les scènes dansées conçues par Orphée pour sa compagnie paraissent extrêmement conventionnelles, peut-être en contraste volontaire avec les véritables ballets d’action (Scène des Furies et Ballet des ombres heureuses), plus inventifs mais manquant là encore de tension. Furies très remuantes mais sans réelle agressivité, avec au premier plan trois danseurs censés évoquer les têtes du chien mythologique Cerbère, dont les sautillements n’échappent pas à un certain ridicule. Scène des Champs-Elysées plus réussie, avec ses beaux éclairages à la Bob Wilson et sa chorégraphie toute en mouvement lents épurés, autour de décors dont les parois tournent constamment. Mais même là on ressent un assez net tarissement, impression qui n’est dissipée que par les superbes mais trop brefs pas de deux des doubles dansés d’Orphée et Eurydice, souverainement incarnés par Anne Laudere et Edvin Revazov.



(© Kiran West)


Deux titulaires d’Orphée en alternance, pour ces trois représentations à Baden-Baden. Maxim Mironov chante un très beau rôle-titre, en dépit des difficultés d’une version française dont il faut négocier les suraigus, écrits pour une voix très spécifique et dangereusement surexposés. Ces escarpements sont restitués sans tension désagréable, et de surcroît l’élocution française du ténor russe se révèle très décemment claire, ce qui n’est le cas ni pour l’Eurydice incompréhensible d’Arianna Vendittelli, ni même pour l’Amour de Marie-Sophie Pollak, à la jolie petite voix flûtée mais aux intonations d’une justesse approximative. Les chœurs, en provenance de la ville toute voisine de Rastatt s’expriment eux aussi dans un français nébuleux (n’y avait-il vraiment pas moyen d’engager un chœur francophone, qui aurait certes dû voyager un tout petit peu plus pour venir au Festspielhaus...). Timbres astringents du l’Orchestre baroque de Fribourg, sous la direction nerveuse d’Alessandro De Marchi, qui ne fait rien pour arrondir les angles.


On attendait beaucoup de cette production, d’une qualité visuelle et musicale effectivement décente, mais qui ne suscite qu’un enthousiasme mitigé.



Laurent Barthel

 

 

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